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Kenya : Crise du Textile avec l’Expiration de l’AGOA

1 000 emplois menacés dans une usine de jeans au Kenya à cause de l'expiration de l'AGOA. Quel avenir pour le commerce africain avec les USA ? Lisez pour comprendre les enjeux avant qu'il ne soit trop tard...

Imaginez une usine animée, où des milliers de mains s’affairent à coudre des jeans destinés aux grandes marques américaines. Soudain, l’annonce tombe : un accord commercial vital expire, et avec lui, des emplois disparaissent. C’est la réalité qui frappe une usine de jeans au Kenya, où 1 000 salariés risquent de perdre leur gagne-pain. Cette situation, liée à l’expiration imminente de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), soulève des questions cruciales sur l’avenir du commerce entre l’Afrique et les États-Unis.

L’AGOA, un pilier du commerce afro-américain en péril

Depuis son adoption en 2000, l’AGOA a transformé les relations économiques entre les États-Unis et une trentaine de pays subsahariens. Ce programme permet aux nations africaines éligibles d’exporter une large gamme de produits vers les États-Unis sans droits de douane, favorisant ainsi la croissance économique et la création d’emplois. En 2024, les exportations sous ce régime ont atteint 8 milliards de dollars, avec l’Afrique du Sud en tête, suivie par le Kenya, qui a exporté pour 567 millions de dollars, principalement dans le secteur textile.

Mais cet accord, censé être renouvelé en septembre 2025, est aujourd’hui menacé. L’incertitude plane, exacerbée par la politique commerciale de l’administration actuelle, marquée par une méfiance envers les accords de libre-échange. Cette situation met en péril des industries entières, comme celle du textile au Kenya, où des usines comme United Aryan, qui produit des jeans pour des marques emblématiques, font face à des licenciements massifs.

United Aryan : une usine au cœur de la tempête

Basée à Nairobi, l’entreprise United Aryan emploie 10 000 travailleurs et produit chaque année 8 millions de paires de jeans pour des géants comme Wrangler et Levi’s. Grâce à l’AGOA, ces jeans entrent sur le marché américain sans droits de douane, ce qui permet à l’usine de rester compétitive face à des pays comme le Bangladesh ou le Vietnam. Mais avec l’expiration imminente de l’accord, l’entreprise prévoit de licencier 1 000 employés, une décision qui aura des répercussions dramatiques sur des milliers de familles.

« Les conséquences seront très graves pour les familles qui dépendent de ces emplois », déplore Pankaj Bedi, PDG d’United Aryan.

Chaque employé soutient en moyenne plusieurs membres de sa famille, et la perte de ces revenus pourrait plonger des communautés entières dans la précarité. Cette usine, établie en 2002, a non seulement créé des emplois, mais a aussi contribué à réduire la criminalité dans la région en offrant des opportunités économiques stables.

Pourquoi l’AGOA est-elle menacée ?

L’AGOA devait être renouvelée avant le 30 septembre 2025, mais les discussions traînent. La politique commerciale actuelle, marquée par une approche transactionnelle, privilégie les accords bilatéraux aux programmes régionaux comme l’AGOA. Cette orientation a conduit à l’imposition de droits de douane élevés sur plusieurs pays africains, comme le Lesotho, qui fait face à des taxes de 50 % sur ses exportations textiles.

Le Kenya, qui bénéficie actuellement d’un tarif préférentiel de 10 %, pourrait voir ses droits de douane grimper à 33 % si l’AGOA n’est pas prolongée. Cette hausse rendrait les produits kenyans bien moins compétitifs, incitant les acheteurs américains à se tourner vers d’autres marchés. De plus, un bras de fer budgétaire aux États-Unis détourne l’attention des décideurs, reléguant l’AGOA au second plan.

Chiffres clés de l’AGOA en 2024 :

  • Valeur totale des exportations : 8 milliards de dollars
  • Principal bénéficiaire : Afrique du Sud (3,8 milliards de dollars)
  • Kenya : 567 millions de dollars, principalement dans le textile
  • Nombre de pays éligibles : une trentaine

Les répercussions économiques au Kenya

L’expiration de l’AGOA ne menace pas seulement United Aryan. L’ensemble de l’industrie textile kenyane, qui emploie directement plus de 58 000 personnes et soutient environ 580 000 dépendants, est en danger. Chaque emploi direct génère un emploi indirect, et chaque travailleur soutient en moyenne cinq personnes. Sans l’AGOA, les usines pourraient fermer, et les commandes américaines risquent de s’évaporer.

Les effets se font déjà sentir. En 2023, les importations américaines de textiles sous l’AGOA ont chuté de 21 % par rapport à 2022, et cette tendance s’est accentuée en 2024. Les acheteurs, anticipant l’incertitude, réduisent leurs commandes, laissant les usines avec des carnets de commandes vides. Les banques et les prêteurs, eux aussi, hésitent à financer des entreprises confrontées à un avenir incertain.

Le Lesotho : un avertissement pour le Kenya

Le cas du Lesotho illustre les conséquences dévastatrices d’une perte d’accès préférentiel au marché américain. En 2025, ce petit royaume a vu ses exportations textiles frappées de droits de douane de 50 %, entraînant une crise économique majeure. Des milliers d’emplois ont disparu, et le pays a déclaré un état de catastrophe nationale pour deux ans. Ce précédent inquiète les industriels kenyans, qui craignent un sort similaire.

Le Lesotho, tout comme le Kenya, a bâti une partie de son économie sur les exportations textiles vers les États-Unis. La suspension de l’AGOA ou l’imposition de tarifs élevés a conduit à des fermetures d’usines et à des licenciements massifs, affectant principalement les femmes, qui constituent la majorité des travailleurs du secteur.

« Quand l’AGOA a été suspendue pour l’Éthiopie en 2022, plus de 11 000 emplois ont disparu presque du jour au lendemain », rappelle un rapport économique.

Une lueur d’espoir pour l’AGOA ?

Malgré l’incertitude, certains signaux laissent entrevoir une possibilité de renouvellement. Lors de récentes réunions à New York, des responsables américains ont exprimé un soutien verbal à la poursuite de l’AGOA. Pankaj Bedi, qui a participé à ces discussions, reste prudemment optimiste, estimant qu’un renouvellement rétroactif pourrait intervenir en novembre, peut-être pour une période transitoire de deux ans.

Cependant, le temps presse. Les entreprises textiles planifient leurs commandes 12 à 18 mois à l’avance, et l’absence de clarté pousse les acheteurs à chercher des alternatives ailleurs. Un renouvellement à court terme pourrait offrir un répit, mais une extension à long terme, comme les 16 ans proposés par certains sénateurs, serait idéale pour garantir la stabilité des investissements.

Vers des accords bilatéraux ?

Face à l’incertitude entourant l’AGOA, le Kenya explore d’autres options. Des négociations sont en cours pour un accord commercial bilatéral avec les États-Unis, qui pourrait remplacer ou compléter l’AGOA. Ces discussions, menées par une délégation kényane à Washington, visent à sécuriser un accès préférentiel au marché américain, même en cas d’expiration de l’accord régional.

Par ailleurs, le Kenya diversifie ses partenaires commerciaux. En 2023, un accord de partenariat économique avec l’Union européenne a été conclu, garantissant un accès sans droits de douane au marché européen. Ce pivot pourrait atténuer l’impact de la perte de l’AGOA, mais le marché américain reste crucial pour l’industrie textile kényane.

Pays Exportations AGOA 2024 Secteur principal
Afrique du Sud 3,8 milliards $ Automobile, agriculture
Kenya 567 millions $ Textile
Lesotho N/A Textile

L’impact géopolitique de la fin de l’AGOA

L’AGOA n’est pas seulement un accord commercial ; c’est aussi un outil de soft power pour les États-Unis. En offrant des conditions préférentielles, Washington a gagné la bienveillance de nombreux pays africains, renforçant son influence face à des concurrents comme la Chine. Cependant, la fin de l’AGOA pourrait redistribuer les cartes, poussant les nations africaines à se tourner vers d’autres partenaires, comme la Chine ou l’Europe.

Le président ghanéen John Mahama a récemment souligné que l’approche transactionnelle de l’administration actuelle marque un tournant. « Les droits de douane pour les pays africains sont déjà plus élevés, rendant l’AGOA techniquement mort », a-t-il déclaré. Cette perte d’influence pourrait affaiblir la position des États-Unis en Afrique, un continent en pleine croissance économique et démographique.

Que peut faire le Kenya face à cette crise ?

Le Kenya ne reste pas les bras croisés. Outre les négociations pour un accord bilatéral, le gouvernement travaille à renforcer ses infrastructures et à diversifier ses exportations. L’accord avec l’Union européenne est un pas dans cette direction, mais il faudra du temps pour que le marché européen absorbe les volumes destinés aux États-Unis.

À court terme, des mesures d’urgence sont envisagées, comme des incitations fiscales pour compenser les droits de douane ou des financements pour maintenir les usines en activité. Ces solutions, bien que coûteuses, pourraient préserver des milliers d’emplois jusqu’à ce qu’une solution durable soit trouvée.

Un appel à l’action

La crise de l’AGOA met en lumière la fragilité des économies africaines face aux décisions des grandes puissances. Pour le Kenya, l’enjeu est clair : préserver un secteur textile qui a transformé des vies et dynamisé l’économie. Les dirigeants africains, en collaboration avec leurs homologues américains, doivent agir rapidement pour éviter une catastrophe économique.

Les prochaines semaines seront cruciales. Un renouvellement, même temporaire, de l’AGOA pourrait offrir un répit aux usines comme United Aryan. Mais à long terme, l’Afrique devra peut-être repenser sa stratégie commerciale, en s’appuyant davantage sur l’intégration régionale et la diversification des partenaires. L’histoire de l’AGOA, c’est celle d’une opportunité à saisir, mais aussi d’un avertissement : la dépendance à un seul marché peut être un pari risqué.

Que retenir de la crise de l’AGOA ?

  • L’AGOA a permis au Kenya d’exporter 567 millions de dollars en 2024.
  • 1 000 emplois sont menacés dans une usine de jeans à Nairobi.
  • Les droits de douane pourraient passer de 10 % à 33 % sans renouvellement.
  • Le Lesotho et l’Éthiopie ont subi des pertes massives après la suspension de l’AGOA.
  • Le Kenya négocie un accord bilatéral pour sécuriser son accès au marché américain.

L’avenir de l’AGOA reste incertain, mais une chose est sûre : les décisions prises dans les prochains mois façonneront l’économie de millions de personnes en Afrique. Pour les travailleurs d’United Aryan et d’autres usines, chaque jour compte. Resteront-ils sur la touche, ou un nouveau chapitre s’ouvrira-t-il pour le commerce afro-américain ? L’histoire est encore à écrire.

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