Dans un champ de Kamgema, à une centaine de kilomètres au nord de Nairobi, une foule endeuillée se rassemble. Les cris d’une mère déchirent l’air, son regard fixé sur le cercueil blanc de son fils, Boniface Kariuki, un jeune homme de 22 ans fauché par une balle policière. Ce drame, survenu en juin 2025, a bouleversé le Kenya, où la colère contre les violences policières ne cesse de croître. Comment un vendeur ambulant, innocent, est-il devenu le symbole d’une lutte nationale pour la justice ?
Un Drame qui Révèle une Crise
Boniface Kariuki n’était pas un manifestant. Ce jour-là, dans les rues animées de Nairobi, il vendait des masques, cherchant à gagner sa vie comme tant d’autres jeunes Kényans. Pourtant, une rencontre fatale avec un policier en tenue anti-émeute a transformé sa vie en tragédie. Une vidéo, devenue virale sur les réseaux sociaux, montre le jeune homme face à l’arme d’un agent, avant qu’un tir à bout portant ne mette fin à ses jours. Cette image, désormais gravée sur son cercueil, incarne un cri silencieux contre l’injustice.
La douleur de sa famille, réunie à Kamgema pour ses funérailles, reflète celle de tout un pays. Des centaines de personnes, amis, proches et militants des droits humains, se sont rassemblées pour lui rendre un dernier hommage. Parmi eux, certains brandissaient le drapeau kényan, symbole d’unité mais aussi de résistance face à un système jugé oppressif.
Une Mort qui Ravive la Colère
La mort de Boniface Kariuki n’est pas un cas isolé. Elle s’inscrit dans une vague de violences qui secoue le Kenya depuis juin 2024. Ce qui avait commencé comme des protestations contre un projet de budget imposant de nouvelles taxes s’est rapidement transformé en un mouvement plus large, dénonçant la corruption et les abus des forces de l’ordre. Selon les organisations de défense des droits humains, plus de 115 personnes ont perdu la vie depuis le début de ces manifestations, dont au moins 50 au cours des deux derniers mois.
« Notre chagrin est incompréhensible. Tu nous manqueras constamment », a déclaré Gladys Wangare, la sœur cadette de Boniface, lors des funérailles.
La vidéo de l’incident, largement partagée, a amplifié l’indignation publique. Elle a également ravivé les souvenirs d’un autre drame survenu plus tôt dans le mois : la mort en cellule d’un homme de 31 ans, initialement présentée comme un suicide par la police, avant que des enquêtes ne révèlent des incohérences. Ces événements ont renforcé la méfiance envers les autorités et alimenté les appels à la justice sociale.
Les Funérailles : un Moment de Deuil et de Résistance
À Kamgema, l’atmosphère des funérailles était lourde de tristesse et de colère. Le cercueil blanc, orné d’une photo de Boniface défiant un policier, semblait crier l’injustice. Les proches, les amis et les militants ont partagé des souvenirs d’un jeune homme décrit comme humble, souriant et généreux. Edwin Kagia, un ami et collègue vendeur ambulant, a partagé sa douleur :
« J’entendais souvent dire que la police tuait des gens, mais je ne pouvais pas imaginer que cela arriverait à mon frère. Nous vendions juste des masques. »
Les funérailles ont également été l’occasion de dénoncer les violences policières. Emily Wanjira, porte-parole de la famille, a exprimé un sentiment partagé par beaucoup : « Aujourd’hui est un jour douloureux pour nous. Nous pleurons des larmes d’amertume. » Ces mots résonnent comme un appel à ne pas oublier, à ne pas pardonner sans justice.
Une Répression Policière Controversée
Depuis le début des manifestations, la réponse des forces de l’ordre a été brutale. Les affrontements entre manifestants et policiers ont souvent dégénéré, avec des gaz lacrymogènes, des tirs à balles réelles et des arrestations massives. Les Nations unies ont exprimé leur profonde inquiétude face aux « meurtres, pillages et destructions de biens » qui ont marqué ces derniers mois. Pourtant, la position du président William Ruto reste ambivalente. Tout en condamnant les violences, il a défendu l’action de la police, allant jusqu’à ordonner de tirer « dans la jambe » sur les pillards potentiels.
Ces propos ont suscité une vive polémique. Lors des funérailles, Edwin Kagia a directement interpellé le président, dénonçant des déclarations qui, selon lui, « portent atteinte à l’unité de la nation ». Pour beaucoup, ces mots reflètent un manque de sensibilité face à la douleur des familles endeuillées et à la colère d’une jeunesse en quête de changement.
Vers une Justice Possible ?
Le policier impliqué dans la mort de Boniface Kariuki pourrait être poursuivi pour meurtre d’ici la fin du mois. Cette perspective, bien que porteuse d’espoir, ne suffit pas à apaiser les tensions. Pour les proches de Boniface et les militants, la justice ne se limite pas à un procès. Ils exigent des réformes profondes pour mettre fin à l’impunité des forces de l’ordre et à la répression policière.
Les manifestations, bien que marquées par la violence, ont donné une voix à une génération qui refuse de se taire. Les jeunes Kényans, en particulier, portent un message clair : ils veulent un avenir où la corruption et les abus de pouvoir ne dictent plus leur quotidien. La mort de Boniface Kariuki, loin d’être un simple fait divers, est devenue un catalyseur pour ce mouvement.
Un Mouvement Plus Large que les Taxes
Ce qui a commencé comme une révolte contre un projet de budget s’est transformé en une contestation globale. Les manifestants dénoncent non seulement les taxes, mais aussi un système politique perçu comme corrompu et déconnecté des réalités quotidiennes. Les mouvements sociaux au Kenya, portés par une jeunesse dynamique, appellent à une refonte des institutions et à une meilleure gouvernance.
Les chiffres clés des manifestations
- 115 morts : Total des victimes depuis le début du mouvement, selon les organisations de défense des droits humains.
- 50 morts : Victimes au cours des deux derniers mois.
- Juin 2024 : Début des manifestations contre le projet de budget.
Ces chiffres, bien que glaçants, ne racontent qu’une partie de l’histoire. Derrière chaque nombre se trouve une famille brisée, une communauté en deuil, et une lutte pour la dignité. Boniface Kariuki, avec son sourire décrit comme « constant » par sa sœur, est devenu l’un des visages de cette lutte.
Un Appel à l’Unité et à la Réforme
Les funérailles de Boniface Kariuki ne marquent pas seulement un adieu. Elles sont aussi un appel à l’action. Les militants présents ont réclamé des comptes, non seulement pour la mort de Boniface, mais pour toutes les victimes des violences policières. Ils demandent une réforme des forces de l’ordre, une transparence accrue et une justice qui ne se contente pas de promesses.
Dans ce contexte, le rôle des réseaux sociaux a été crucial. En diffusant les images du drame, ils ont permis de sensibiliser l’opinion publique et de maintenir la pression sur les autorités. Mais ils ont aussi révélé la fracture entre le gouvernement et une partie de la population, en particulier les jeunes, qui se sentent abandonnés.
Un Avenir Incertain
Alors que le Kenya pleure ses morts, la question demeure : comment avancer ? La poursuite du policier impliqué dans la mort de Boniface Kariuki pourrait marquer un premier pas vers la justice, mais elle ne résoudra pas les problèmes systémiques qui alimentent les tensions. Les appels à la réforme, à la fin de la corruption et à une meilleure gouvernance résonnent plus fort que jamais.
Pour les habitants de Kamgema, et pour des milliers de Kényans, la mémoire de Boniface Kariuki restera un symbole. Un symbole de résistance, de douleur, mais aussi d’espoir. Car dans chaque cri, dans chaque larme versée, il y a la promesse d’un avenir où plus aucun jeune ne tombera sous les balles de ceux censés le protéger.
La lutte pour la justice continue, portée par une jeunesse déterminée à changer l’avenir du Kenya.