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Kamel Daoud, Prix Goncourt pour « Houris », roman interdit en Algérie

Kamel Daoud, écrivain algérien engagé, remporte le Goncourt pour « Houris », roman clivant sur la guerre civile. Interdit en Algérie, le livre brise les tabous et questionne la place des femmes. Un choix fort qui...

Une consécration littéraire doublée d’un symbole fort. Ce lundi 4 novembre, l’écrivain algérien Kamel Daoud a reçu le prestigieux Prix Goncourt pour son roman « Houris », publié aux éditions Gallimard. Mais ce qui aurait dû n’être qu’un immense moment de joie pour l’auteur s’est teinté d’une amertume particulière. Car avec ce livre, Kamel Daoud a osé briser l’un des plus grands tabous de la société algérienne : évoquer la guerre civile sanglante des années 90. Un sujet si sensible que « Houris » a été purement et simplement interdit de publication en Algérie.

Le choix d’un roman aussi nécessaire que clivant

En décernant son prix le plus prestigieux à Kamel Daoud, le jury Goncourt a fait un choix aussi audacieux que politique. Salué par la critique, « Houris » n’en reste pas moins un roman clivant qui dérange et bouscule. À travers le personnage d’Aube, une jeune femme rendue muette par un égorgement dans son enfance, l’auteur donne à voir l’horreur et l’absurdité de la décennie noire algérienne, cette guerre civile qui a déchiré le pays entre 1992 et 2002, faisant plus de 200 000 morts.

Mais plus qu’un simple témoignage, « Houris » est une réflexion puissante sur la place des femmes dans une société traditionnelle, sur le poids des non-dits et le devoir de mémoire. Des thèmes qui valent aujourd’hui à Kamel Daoud les foudres des autorités de son pays. Car en Algérie, évoquer les blessures de la guerre civile reste strictement tabou, au point d’être passible de prison en vertu d’une loi liberticide.

Un écrivain engagé et habitué des polémiques

Pour Kamel Daoud, la censure de « Houris » n’est hélas pas une première. Chroniqueur au verbe acéré et romancier iconoclaste, il a déjà défrayé la chronique par le passé avec ses prises de position sans concession contre l’islamisme et l’obscurantisme. Une liberté de ton qui lui a valu menaces et fatwa, sans jamais entamer sa détermination à écrire coûte que coûte.

Je ne céderai pas à la tentation du silence. C’est la pire des censures, celle qu’on s’impose à soi-même.

Kamel Daoud

Proche de l’écrivain Boualem Sansal, autre grande figure de la littérature algérienne engagée, Kamel Daoud n’a eu de cesse de défendre la liberté d’expression des artistes et intellectuels de son pays. Très présent dans les médias français, il y a souvent dénoncé la « tentation de la régression » des sociétés arabes et le péril islamiste.

Le Goncourt, une caisse de résonance mondiale

En couronnant « Houris », le jury du Goncourt offre à Kamel Daoud une formidable caisse de résonance pour faire entendre sa voix bien au-delà des frontières algériennes. Déjà traduit dans une vingtaine de langues, le roman devrait connaître un succès international lui permettant de toucher un très large public.

Une exposition médiatique susceptible de gêner le pouvoir algérien, qui craint comme la peste que soit levé le voile sur les pages les plus sombres de l’histoire récente du pays. Mais pour les défenseurs des droits humains, le message envoyé par l’académie Goncourt est clair : face à la censure et au déni, la littérature reste l’arme la plus puissante.

Quand le Goncourt récompense des œuvres fortes

Le sacre de Kamel Daoud n’est pas sans rappeler d’autres choix forts du jury Goncourt ces dernières années :

  • En 2021, le jeune écrivain sénégalais Mohamed Mbougar Sarr avait été distingué pour « La plus secrète mémoire des hommes », roman abordant le racisme et la condition des écrivains africains.
  • En 2016, la franco-marocaine Leïla Slimani avait créé la surprise avec « Chanson douce », polar glaçant explorant les rapports de domination.
  • En 2015, Mathias Enard avait séduit avec « Boussole », fresque humaniste combattant les préjugés sur l’Orient.

Autant de lauréats qui prouvent que la première distinction littéraire de France sait aussi se montrer audacieuse et récompenser des œuvres dérangeantes mais nécessaires. En ces temps de repli identitaire et de frilosité, un tel signal est plus que jamais le bienvenu.

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