Le monde littéraire est en ébullition. Kamel Daoud, tout juste auréolé du prestigieux prix Goncourt 2024 pour son roman “Houris”, se retrouve au cœur d’une vive polémique. Son éditeur, la maison Gallimard, monte au créneau pour dénoncer les “attaques diffamatoires” dont l’écrivain franco-algérien est la cible.
Le roman de la discorde
“Houris”, le livre récompensé, plonge dans les années noires de la guerre civile algérienne qui a fait plus de 200 000 morts dans les années 90. Un sujet brûlant et douloureux que Kamel Daoud aborde à travers une intrigue et des personnages fictifs, mais qui s’inspire de faits réels tragiques.
Et c’est justement là que le bât blesse. Une femme victime de cette guerre, Saâda Arbane, affirme s’être reconnue dans l’héroïne du roman. Elle accuse Kamel Daoud d’avoir exploité son histoire personnelle et ses traumatismes. Une accusation relayée par certains médias algériens, déclenchant une vague de critiques violentes contre l’auteur.
Gallimard dénonce une cabale
Face à ce déferlement, les éditions Gallimard ont tenu à réagir fermement. Dans un communiqué, Antoine Gallimard en personne a pointé du doigt “les violentes campagnes diffamatoires orchestrées par certains médias proches d’un régime dont nul n’ignore la nature”. Il dénonce une forme de censure, rappelant que son groupe a été interdit de salon du livre à Alger.
La maison d’édition assure que si “Houris” s’inspire en effet de la tragédie algérienne, “son intrigue, ses personnages et son héroïne sont purement fictionnels”. Elle apporte un soutien total à son auteur, victime selon elle d’une “cabale” visant à le discréditer.
Un auteur controversé
Ce n’est pas la première fois que Kamel Daoud suscite la polémique. Intellectuel engagé, romancier talentueux mais inclassable, il est adulé par certains autant que détesté par d’autres, notamment dans son pays d’origine. Certains lui reprochent des prises de position sans concession, un regard acerbe sur la société algérienne et ses travers.
Kamel Daoud a ce courage rare des écrivains qui prennent à bras le corps les sujets qui fâchent. Avec “Houris”, il met les pieds dans le plat d’une histoire algérienne encore à vif.
Un éditeur proche du dossier
Mais c’est aussi ce qui fait sa force et son succès, comme l’a reconnu l’Académie Goncourt en le récompensant. Une consécration littéraire qui n’est pas du goût de tous, visiblement.
La liberté d’expression en question
Au-delà du cas de Kamel Daoud, cette affaire pose la question de la liberté de création et d’expression. Jusqu’où un écrivain peut-il aller dans sa recherche d’inspiration, dans son devoir de mémoire et de témoignage ? À partir de quand la fiction devient-elle usurpation d’identité, atteinte à la vie privée ?
Les frontières sont parfois ténues et les sensibilités à fleur de peau quand il s’agit d’épisodes aussi tragiques que la guerre civile algérienne. Mais pour beaucoup, s’attaquer à un auteur sous prétexte qu’il s’est inspiré de la réalité pour nourrir son imaginaire, c’est ouvrir une boîte de Pandore dangereuse pour la création littéraire.
Quel avenir pour “Houris” ?
Malgré la polémique, ou peut-être grâce à elle, “Houris” s’arrache en librairie depuis sa sortie. Le roman était déjà promis à un beau succès, son sacre au Goncourt n’a fait que confirmer l’engouement du public. Les critiques littéraires sont quasi unanimes pour saluer la puissance du texte, son style incisif, sa capacité à transcender le réel par la fiction.
Reste à savoir si la polémique en cours aura un impact sur le long terme. Certains appelant déjà au boycott de l’œuvre. Mais Kamel Daoud semble avoir les épaules pour résister à la tempête médiatique. Celui qui se définit comme un “empêcheur de tourner en rond” a l’habitude de se faire des ennemis. Et visiblement, il n’a pas l’intention de renoncer à écrire des livres qui dérangent.
Une chose est sûre : avec ce nouveau pavé dans la mare, Kamel Daoud confirme son statut d’écrivain incontournable et sulfureux. “Houris” a d’ores et déjà sa place dans la liste des livres les plus marquants de cette année 2024. Ceux dont on parle, pour le meilleur et pour le pire.