Le 16 août 2021, le monde entier a été témoin d’une scène qui restera gravée dans les mémoires : à l’aéroport de Kaboul, des Afghans, terrifiés par le retour des talibans, s’accrochaient désespérément à un avion militaire américain en plein décollage. Certains sont tombés, leurs silhouettes s’effaçant dans le ciel. Quatre ans plus tard, les familles de ces victimes vivent encore avec des blessures qui ne cicatrisent pas. Cet article explore les récits poignants de ceux qui ont tout risqué pour fuir, et de ceux qui, restés derrière, portent le poids d’un deuil inachevé.
Un Chaos Inoubliable à l’Aéroport de Kaboul
En août 2021, la capitale afghane est tombée aux mains des talibans en quelques heures, mettant fin à vingt ans de présence occidentale. La panique s’est emparée de la population. À l’aéroport de Kaboul, des milliers de personnes se sont précipitées, espérant une place dans les avions d’évacuation. Les images de cette journée, relayées à travers le monde, montrent des scènes de désespoir : des hommes, des femmes, des familles entières courant aux côtés d’un C-17 américain, certains s’agrippant à son fuselage dans une tentative désespérée de fuir.
Ce chaos n’était pas seulement le résultat d’une peur immédiate. Il était alimenté par des décennies de récits sur la brutalité du régime taliban, notamment celui de 1996 à 2001, marqué par des restrictions extrêmes et une violence généralisée. Pour beaucoup, partir semblait être la seule issue. Mais à quel prix ?
Shafiullah Hotak : Un Rêve Brisé
Shafiullah Hotak avait 18 ans. Ce jeune Afghan rêvait de devenir médecin, mais les contraintes financières l’obligeaient à enchaîner des petits boulots. Le 16 août, poussé par des rumeurs selon lesquelles les Américains emmenaient des Afghans avec eux, il a pris une décision fatale. Avec seulement 50 afghanis en poche – moins d’un euro – il a annoncé à ses parents : “Je pars aux États-Unis !”
“Shafiullah disait que s’il arrivait aux États-Unis, je pourrais arrêter de travailler, qu’il nous rendrait ce que nous avions fait pour lui,”
Zar Bibi Hotak, mère de Shafiullah
Sa mère, Zar Bibi, lui a donné sa carte d’identité, sans imaginer qu’elle ne le reverrait jamais. Quelques heures plus tard, Shafiullah était mort, son corps retrouvé sur un toit à plusieurs kilomètres de l’aéroport. Comme lui, d’autres ont cru en une chance de salut, mais ont trouvé la mort dans leur quête désespérée.
Fida Mohammed : La Haine des Talibans
Fida Mohammed Amir, 24 ans, était dentiste. Originaire de Paghman, un village proche de Kaboul, il nourrissait une aversion profonde pour les talibans. Ce matin-là, il a quitté la maison familiale sous prétexte d’un rendez-vous à sa clinique. En réalité, il s’est rendu à l’aéroport, espérant saisir une opportunité de fuir. Son père, Payanda Mohammed Ibrahimi, a reçu un appel dévastateur en début d’après-midi : “Vous connaissez Fida ? Il est tombé d’un avion.”
Fida avait pris soin de glisser le numéro de son père dans sa poche, comme un dernier lien avec sa famille. Son corps, comme celui de Shafiullah, a été retrouvé sur un toit, loin de l’aéroport. Ces histoires individuelles reflètent une tragédie collective, où l’espoir s’est transformé en désastre.
Zaki Anwari : L’Espoir du Football Afghan
Zaki Anwari, 17 ans, était un jeune footballeur prometteur. Par curiosité, ou peut-être par peur que les talibans n’interdisent le sport, il s’est rendu à l’aéroport avec l’un de ses frères. Sur place, il a décidé de tenter sa chance. Malheureusement, il a été écrasé par l’avion sur le tarmac. Son frère, Zakir, se souvient de l’horreur de cette journée : des corps entassés dans un pick-up, du sang sur le sol, et la violence d’un taliban qui l’a frappé.
“J’ai eu des cauchemars pendant un an. Impossible d’oublier,”
Zakir Anwari, frère de Zaki
Le cas de Zaki illustre une question lancinante : pourquoi des jeunes aussi brillants ont-ils pris des risques aussi insensés ? La réponse réside peut-être dans le climat de panique et les récits terrifiants du passé taliban, qui ont poussé des milliers de personnes à agir dans l’urgence.
Un Bilan Flou et un Chagrin Sans Réponse
Combien de personnes ont péri lors de l’évacuation de Kaboul ? Le chiffre exact reste inconnu. En 2022, l’armée américaine a dédouané l’équipage du C-17, expliquant que la situation sécuritaire chaotique les avait forcés à décoller rapidement. Mais pour les familles des victimes, cette explication ne suffit pas. Elles déplorent l’absence d’excuses ou de reconnaissance officielle de la part des autorités, qu’il s’agisse des talibans, de l’ancien gouvernement afghan ou des forces américaines.
Zar Bibi Hotak exprime sa colère : “Personne ne nous a appelés : ni le précédent gouvernement, ni les talibans, ni les Américains.” Pour elle, comme pour tant d’autres, le silence des responsables aggrave la douleur. Certains, comme Zakir Anwari, vont plus loin, accusant les pilotes d’avoir ignoré les risques, malgré les caméras équipant les avions.
Les Conséquences d’un Régime Oppressif
Depuis leur retour au pouvoir, les talibans ont instauré des lois de plus en plus restrictives, particulièrement à l’encontre des femmes. Ce climat de peur rappelle celui de leur premier régime, où les divertissements étaient interdits et la terreur omniprésente. Pour beaucoup d’Afghans, l’aéroport représentait une porte de sortie, un espoir de liberté. Mais pour des milliers d’autres, il est devenu le théâtre d’une tragédie.
Les récits des familles révèlent une constante : la peur d’un avenir incertain. Intizar Hotak, frère de Shafiullah, se souvient des histoires du passé taliban, où même trouver de la farine était un défi. Cette crainte, amplifiée par la situation chaotique de 2021, a poussé des individus à des actes désespérés, parfois irrationnels.
Résumé des événements clés
- 15 août 2021 : Les talibans reprennent Kaboul.
- 16 août 2021 : Chaos à l’aéroport, des Afghans s’accrochent à un avion.
- Évacuations : Plus de 120 000 personnes quittent le pays via les vols de l’OTAN.
- Conséquences : Des familles endeuillées, un bilan flou, et un silence des autorités.
Un Deuil Sans Fin
Pour les proches des victimes, le deuil est une épreuve quotidienne. Zar Bibi Hotak serre encore contre elle le portrait de son fils Shafiullah, incapable d’accepter sa perte. Payanda Ibrahimi, père de Fida, hésite à parler de son fils, craignant de rouvrir une blessure trop profonde. “Personne ne peut comprendre,” murmure-t-il, le regard brisé.
Zakir Anwari, quant à lui, est hanté par des cauchemars. Les images des corps entassés à l’aéroport, du sang sur le tarmac, et de la violence des talibans le poursuivent. Ces familles, comme tant d’autres, ne cherchent pas seulement des réponses, mais une forme de justice, ou du moins une reconnaissance de leur douleur.
Une Tragédie Humaine Universelle
Les événements de l’aéroport de Kaboul ne sont pas seulement une tragédie afghane. Ils reflètent une réalité universelle : celle des populations prises au piège de conflits, de crises politiques, et de désespoir. Les Afghans qui se sont précipités à l’aéroport n’étaient pas là pour mourir, mais pour survivre. Ils cherchaient une vie meilleure, loin de la peur et de l’oppression.
Quatre ans après, les plaies restent ouvertes. Les familles des victimes continuent de poser des questions sans réponse : pourquoi n’y a-t-il pas eu plus de contrôle ? Pourquoi les avions n’ont-ils pas attendu ? Pourquoi personne n’a-t-il assumé la responsabilité de ces pertes ? Ces interrogations, mêlées de chagrin, font écho à une douleur qui transcende les frontières.
Victime | Âge | Rêve | Circonstance de la mort |
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Shafiullah Hotak | 18 ans | Devenir médecin | Tombé d’un avion, corps retrouvé sur un toit |
Fida Mohammed Amir | 24 ans | Dentiste, fuir les talibans | Tombé d’un avion, corps retrouvé sur un toit |
Zaki Anwari | 17 ans | Footballeur prometteur | Écrasé par l’avion sur le tarmac |
En racontant ces histoires, cet article ne cherche pas seulement à commémorer les victimes, mais à rappeler l’ampleur d’une tragédie qui continue de résonner. Les familles de Kaboul, comme celles de tant d’autres crises à travers le monde, méritent d’être entendues. Leur douleur, leur résilience et leur quête de vérité sont un appel à ne jamais oublier.