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Justice Pour Les Meurtres De L’apartheid, 40 Ans Après

Quarante ans après les assassinats de l'apartheid, les familles des victimes exigent justice. Leur combat pour la vérité continue, mais que cache ce silence judiciaire ?

Dans un cimetière balayé par le vent glacial de l’hiver sud-africain, des tombes oubliées racontent une histoire de lutte, de perte et d’injustice. À Cradock, une petite ville de l’est de l’Afrique du Sud, un monument délabré rend hommage à quatre militants assassinés il y a quarante ans par le régime de l’apartheid. Leurs noms – Fort Calata, Matthew Goniwe, Sicelo Mhlauli et Sparrow Mkhonto – résonnent encore dans les mémoires des familles et des communautés qui, aujourd’hui, continuent de réclamer justice. Ce combat, loin d’être terminé, révèle les blessures profondes d’une nation toujours en quête de vérité.

Un Passé Qui Refuse de S’effacer

Quarante ans après les meurtres brutaux de ces quatre hommes, le poids de l’histoire continue de peser sur leurs proches. Ces militants, trois enseignants et un syndicaliste, ont été battus, poignardés et leurs corps brûlés en 1985, dans l’une des tueries les plus emblématiques de l’ère de l’apartheid. À Gqeberha, une ville côtière autrefois connue sous un autre nom, une enquête judiciaire récente a ravivé l’espoir, mais aussi la frustration des familles. Pourquoi, après tant d’années, la justice reste-t-elle insaisissable ?

Les Quatre de Cradock : Une Lutte Sacrifiée

Fort Calata, Matthew Goniwe, Sicelo Mhlauli et Sparrow Mkhonto étaient des figures clés dans la résistance contre l’apartheid. Leur engagement pour la justice sociale et l’égalité a fait d’eux des cibles du régime oppressif. En 1985, leur assassinat a marqué un tournant, révélant la brutalité d’un système prêt à tout pour maintenir son emprise. Les familles, laissées dans le deuil, ont vu leurs vies bouleversées à jamais.

« Nous n’abandonnerons pas tant qu’une forme de justice n’aura pas été rendue », déclare Lukhanyo Calata, fils de Fort Calata, déterminé à obtenir des réponses.

Lukhanyo n’avait que quelques mois lorsque son père a été tué. Sa mère, Nomonde, enceinte à l’époque, a dû faire face à une douleur indescriptible tout en cachant sa souffrance pour ne pas donner satisfaction à ceux qu’elle considérait comme ses ennemis. Ce témoignage poignant, livré lors de l’enquête récente, illustre la résilience des familles face à l’injustice.

Des Enquêtes Sans Fin et Sans Réponses

Les premières investigations, menées en 1985, ont été un échec. Conduites en afrikaans, une langue que beaucoup de proches des victimes ne comprenaient pas, elles n’ont pas permis d’identifier les responsables. Une seconde enquête, en 1993, a pointé du doigt la responsabilité de la police, mais sans nommer les coupables. Puis, après la fin de l’apartheid en 1994, la Commission de vérité et de réconciliation, dirigée par Desmond Tutu, a tenté d’apporter des réponses.

Cette commission, reconnue mondialement pour son rôle dans la transition post-apartheid, a conclu que six membres d’une unité spéciale de la police étaient impliqués dans les meurtres. Cependant, l’amnistie leur a été refusée, et aucune poursuite judiciaire n’a suivi. Aujourd’hui, ces six individus sont décédés, laissant les familles sans possibilité de confrontation directe.

« Ils ont tout fait pour se protéger. Nous ne nous attendions pas vraiment à mieux de leur part », confie Lukhanyo Calata, résumant l’amertume des familles face à des décennies d’impunité.

Une Nouvelle Enquête, Un Nouvel Espoir ?

En 2025, une nouvelle enquête judiciaire a été ouverte à Gqeberha, marquant un tournant. Pour la première fois, les familles des victimes ont pu témoigner, leurs voix portées par une diffusion en direct à la télévision nationale. Le tribunal s’est même rendu sur les lieux présumés des meurtres, un geste symbolique fort pour les proches. Mais au-delà des témoignages, les familles veulent des réponses concrètes : pourquoi n’y a-t-il eu aucune poursuite en trente ans ?

Les raisons de ces retards sont multiples. Certains avocats des familles évoquent un mélange d’incompétence, d’indifférence et même d’interférences politiques. Ces accusations ont conduit le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, à lancer une enquête distincte en avril 2025 pour examiner les retards délibérés dans les poursuites des crimes de l’apartheid.

Les Blessures d’une Nation

À Cradock, rebaptisée Nxuba, les habitants vivent avec le souvenir des quatre militants. Pour beaucoup, comme Sibongile Mbina Mbina, qui a connu les victimes, l’absence de justice est une douleur quotidienne. « J’ai grandi avec eux, certains m’ont enseigné. Cela me fait mal que cette affaire reste irrésolue », confie-t-il. Mawonga Goniwe, neveu de l’une des victimes, partage ce sentiment : « La vérité doit éclater. Les responsables doivent répondre de leurs actes. »

Ce combat pour la justice dépasse les familles des victimes. Il touche à la mémoire collective d’une nation qui, malgré la fin de l’apartheid, lutte encore pour panser ses blessures. Les retards judiciaires soulèvent des questions sur la capacité de l’Afrique du Sud à affronter son passé et à construire un avenir équitable.

Un Combat pour la Vérité et la Réparation

Outre l’enquête judiciaire, une procédure distincte impliquant 25 familles vise à obtenir des compensations financières de la part du gouvernement. Ces démarches, bien que nécessaires, ne suffisent pas à apaiser la douleur des proches. Pour eux, la justice ne se limite pas à des réparations matérielles : elle passe par la reconnaissance des crimes et la condamnation des responsables, même à titre posthume.

Les familles insistent sur l’importance de la transparence. Elles veulent comprendre pourquoi leurs proches ont été ciblés, qui a donné les ordres, et pourquoi le système judiciaire a failli pendant si longtemps. Ces questions, bien que douloureuses, sont essentielles pour avancer vers une véritable réconciliation.

Étape Résultat
Enquête de 1985 Aucun coupable identifié
Enquête de 1993 Responsabilité de la police confirmée, sans noms
Commission Vérité et Réconciliation Six policiers impliqués, amnistie refusée, pas de poursuites
Enquête 2025 Témoignages des familles, diffusion publique, en cours

Vers une Réconciliation Possible ?

Le combat des familles des quatre de Cradock est emblématique d’un défi plus large : comment une société peut-elle se reconstruire après des décennies d’oppression ? La Commission de vérité et de réconciliation a marqué un pas important, mais son incapacité à traduire les responsables en justice a laissé un vide. Les enquêtes actuelles, bien que prometteuses, doivent surmonter des décennies d’inaction et de méfiance envers les institutions.

Pour les Sud-Africains, cette affaire est un rappel que la justice n’est pas seulement une question de châtiment, mais aussi de reconnaissance. Les familles ne cherchent pas seulement des coupables ; elles veulent que l’histoire de leurs proches soit honorée, que leur sacrifice soit reconnu comme une étape vers la liberté.

Alors que le vent continue de balayer le cimetière de Cradock, les tombes des quatre militants restent un symbole de résistance et d’espoir. Leur histoire, bien que marquée par la tragédie, inspire encore aujourd’hui ceux qui croient en un avenir plus juste. Mais pour que cet avenir se concrétise, la vérité doit enfin éclater.

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