Derrière les murs des prisons françaises se cache une réalité méconnue : près de la moitié des personnes condamnées à de la prison ferme échappent en réalité à l’incarcération. C’est ce que révèle un rapport exclusif de l’Institut pour la Justice, qui met en lumière l’ampleur du recours aux aménagements de peine dans notre pays.
59% des condamnés à de la prison ferme incarcérés
En analysant les données du ministère de la Justice sur les condamnations et incarcérations entre 2016 et 2020, les chercheurs de l’Institut pour la Justice ont fait un constat saisissant : seulement 59% des personnes condamnées à une peine de prison ferme finissent réellement derrière les barreaux. Un chiffre obtenu en comparant le nombre de peines prononcées avec les entrées effectives en détention.
Si cette méthode de calcul comporte certaines approximations, ne prenant pas en compte les détentions provisoires ou les différés d’application des peines, elle donne néanmoins un aperçu édifiant de l’effectivité réelle de la prison ferme en France sur plusieurs années.
L’industrialisation des aménagements de peine
Comment expliquer un tel écart entre les condamnations prononcées et leur application ? La réponse tient en grande partie à ce que le rapport qualifie “d’industrialisation des aménagements de peine”. Présentés comme la solution miracle pour désengorger des prisons surpeuplées tout en favorisant la réinsertion, ces mesures alternatives à l’incarcération (placement sous surveillance électronique, semi-liberté, placement à l’extérieur) ont connu un essor fulgurant ces dernières années.
On assiste au triomphe d’un oxymore contemporain : celui de la “prison en milieu ouvert”
– L’Institut pour la Justice
Un discours officiel trompeur ?
Au-delà des chiffres, c’est aussi le vocabulaire du discours officiel sur l’exécution des peines que l’Institut pour la Justice remet en cause. En présentant les aménagements comme de simples “modalités d’exécution” des peines, et non comme de véritables alternatives à la prison, les pouvoirs publics entretiendraient une confusion trompeuse.
Une sémantique qui ne serait pas sans conséquence sur la perception qu’ont les citoyens de la réponse pénale. Comment s’y retrouver entre les peines “prononcées”, “exécutées” ou “effectuées” quand une peine de prison ferme a finalement plus d’une chance sur deux de se solder par une mesure en milieu ouvert ?
Entre volonté de réinsertion et exigence de fermeté
Si les aménagements de peine peuvent constituer des outils précieux de réinsertion pour certains profils de condamnés, leur généralisation interroge dans une société en quête de fermeté judiciaire. Face à une opinion publique qui peine à comprendre que des peines “fermes” ne le soient pas tant que ça, le risque d’une perte de confiance dans l’institution judiciaire n’est pas à négliger.
Pour autant, revenir à une logique d’incarcération systématique ne semble ni réaliste ni souhaitable au vu de l’état actuel du parc pénitentiaire français. L’enjeu pour les années à venir sera donc de trouver le juste équilibre, en réservant les aménagements aux situations qui le justifient vraiment, tout en rendant des décisions judiciaires plus lisibles et acceptables pour nos concitoyens.
Une équation complexe à résoudre pour une justice pénale tiraillée entre impératifs budgétaires, volonté de réinsertion et exigence de fermeté. Mais une équation décisive pour restaurer le lien de confiance entre les Français et leur justice.