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Juan Carlos Brise le Silence en Vidéo Avant ses Mémoires

L’ex-roi Juan Carlos, silencieux depuis des années, publie soudain une vidéo où il revendique « une transition exemplaire » et demande aux jeunes de soutenir son fils Felipe. Mais pourquoi maintenant, à 48 heures de la sortie de ses mémoires ? La réponse risque de secouer l’Espagne…

Imaginez : un homme de ces lundis tranquilles de novembre, et soudain votre téléphone vibre avec une notification inattendue. Une vidéo d’une minute trente. L’homme qui parle porte une chemise bleu clair, un drapeau espagnol flotte derrière lui, et sa voix, légèrement tremblante mais toujours reconnaissable, s’adresse directement aux « aux jeunes Espagnols ». Juan Carlos Ier, ex-roi, exilé depuis 2020 à Abou Dhabi, vient de rompre un silence de plusieurs années. Et il ne le fait pas n’importe quand : deux jours avant la sortie officielle en Espagne de ses mémoires intitulées Réconciliation.

Une vidéo qui tombe à pic… ou qui dérange

Dans ce message filmé, Juan Carlos ne se contente pas de saluer la nation. Il revendique haut et fort le bilan de son règne, et surtout ce qu’il appelle « une transition exemplaire » réalisée « dans des circonstances très complexes ». Un terme qui, quarante-neuf ans après la mort de Franco, continue de diviser profondément les Espagnols.

Il s’adresse particulièrement à la génération qui n’a pas connu la dictature : « Je veux que vous sachiez qu’avec vos parents et vos grands-parents, nous avons réussi à changer ce pays ». Une phrase qui, selon les commentateurs, vise à contrer la montée en puissance des discours critiques sur le rôle de la monarchie dans les années 1975-1982.

« J’ai fait cet effort d’écrire mes mémoires afin que vos parents puissent se souvenir de moments historiques et que vous puissiez connaître l’histoire récente de votre pays sans distorsions, racontée par quelqu’un qui a vécu la transition à la première personne. »

Juan Carlos Ier

La réponse glaciale de la Casa Real

À Madrid, l’accueil est pour le moins frais. Contactée immédiatement après la diffusion, la maison royale a répondu qu’elle « ignorait tout » de cette vidéo et a ajouté, presque sèchement : « Nous ne comprenons pas quels objectifs elle poursuit. Et nous ne croyons pas que ce soit ni nécessaire ni opportun ».

Cette distance publique entre le père et le fils, entre l’ancien palais du Pardo et le palais de la Zarzuela, n’est pas nouvelle, mais elle prend ici une dimension particulièrement spectaculaire. Felipe VI, qui a toujours veillé à marquer une rupture nette avec les scandales de la fin du règne de son père, se retrouve malgré lui au centre de l’attention.

Car Juan Carlos termine son message par un appel clair : « Soutenez mon fils, le roi Felipe, dans ce travail difficile d’unir tous les Espagnols ». Un soutien qui, dans le timing choisi, ressemble davantage à une mise sous pression qu’à une simple bénédiction paternelle.

Des mémoires déjà polémiques avant même leur sortie espagnole

Le livre Réconciliation est déjà paru en France début novembre. Les extraits qui ont filtré ont provoqué un véritable tollé, notamment à cause des passages où Juan Carlos rend hommage à Franco, présenté comme un dirigeant ayant « sauvé l’Espagne du chaos » après la guerre civile. Des propos qui heurtent profondément une partie de la société espagnole, surtout à l’approche du cinquantième anniversaire de la mort du dictateur.

En Espagne, l’ouvrage sortira donc mercredi dans un climat tendu. Plusieurs librairies ont déjà annoncé qu’elles ne le mettraient pas en rayon, tandis que des associations de victimes du franquisme appellent au boycott. La vidéo de lundi apparaît alors comme une opération de communication de la dernière chance pour tenter de reprendre la main sur le récit.

Chronologie express des derniers mois de Juan Carlos

  • Août 2020 – Départ précipité pour Abou Dhabi après l’ouverture d’enquêtes judiciaires
  • 2022-2023 – Classement des procédures en Espagne et en Suisse
  • Mai 2024 – Brève visite en Galice pour une régate, sans rencontre officielle avec Felipe VI
  • Novembre 2025 – Publication française des mémoires, puis vidéo surprise

Pourquoi maintenant ? Trois hypothèses plausibles

Première hypothèse : Juan Carlos sent que l’histoire est en train de lui échapper. Les jeunes générations, n’ont plus le même regard admiratif sur la Transition. Des sondages récents montrent que plus de 40 % des moins de 35 ans se déclarent républicains. La vidéo serait alors une tentative désespérée de graver sa version dans le marbre.

Deuxième hypothèse : l’entourage de l’ex-roi cherche à préparer le terrain à un éventuel retour, même partiel, en Espagne. En se présentant comme le garant de l’unité nationale et en appelant à soutenir Felipe VI, il pourrait vouloir se repositionner comme une figure incontournable.

Troisième hypothèse, plus cynique : il s’agit simplement d’une opération marketing pour booster les ventes du livre. Une vidéo virale deux jours avant la sortie, cela ne s’invente pas. Et sur X (ex X (anciennement Twitter), la vidéo a déjà été visionnée plusieurs millions de fois en moins de 48 heures.

La Transition, toujours un sujet brûlant

Quand Juan Carlos parle de « transition exemplaire », il fait référence à la période 1975-1982 au cours de laquelle l’Espagne est passée d’une dictature à une démocratie parlementaire avec une rapidité stupéfiante. Un processus dans lequel il a joué un rôle central, notamment lors du coup d’État du 23 février 1981 où il était apparu à la télévision pour désavouer les putschistes.

Mais aujourd’hui, de nombreux historiens et citoyens remettent en question cette vision idyllique. Ils pointent les pactes de silence, l’amnistie de 1977 qui a empêché de juger les crimes franquistes, ou encore le maintien de nombreux symboles et responsables de l’ancien régime.

En revendiquant cette « exemplarité », Juan Carlos rouvre un débat que beaucoup, à commencer par le gouvernement actuel de Pedro Sánchez, préféreraient clore définitivement avec la future loi de mémoire démocratique.

Et Felipe VI dans tout ça ?

Le roi actuel se retrouve dans une position délicate. D’un côté, il a tout fait pour restaurer la crédibilité de la Couronne : transparence financière, éloignement des membres compromis de la famille, discours fermes contre l’indépendantisme catalan. De l’autre, il ne peut pas publiquement désavouer son père sans créer un précédent dangereux pour l’institution.

Le silence de la Zarzuela après la vidéo est donc éloquent. Pas de soutien, pas de critique ouverte, juste cette phrase lapidaire sur l’inopportunité du moment. Un équilibre précaire que Juan Carlos semble décidé à faire vaciller.

Car en appelant à « soutenir son fils », l’ex-roi rappelle aussi, implicitement, qu’il reste le père du monarque régnant. Un lien biologique que aucune abdication ne peut effacer, et qui continue de peser sur l’image de la monarchie.

Vers une nouvelle crise pour la monarchie espagnole ?

À court terme, cette vidéo et la sortie des mémoires risquent de relancer les débats sur l’utilité de la monarchie. Les partis de gauche, déjà très critiques, y verront une provocation. Les conservateurs du PP et de Vox, eux, pourraient être gênés : défendre Juan Carlos, c’est défendre un passé sulfureux ; le critiquer, c’est affaiblir Felipe VI.

À plus long terme, l’épisode montre que la page Juan Carlos n’est pas tournée. Tant que l’ex-roi sera en vie et désireux de s’exprimer, la Couronne restera hantée par ses fantômes. Et l’Espagne continuera de se demander si la « réconciliation » qu’il invoque dans le titre de son livre est vraiment possible… ou si elle n’est qu’une illusion.

Une chose est sûre : en publiant cette vidéo surprise, Juan Carlos a réussi son coup médiatique. L’Espagne entière ne parle plus que de lui, cinquante ans après son couronnement. Reste à savoir si c’était la meilleure façon de clore un règne aussi contrasté.

Affaire à suivre, évidemment.

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