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Journalistes Relaxés en Turquie : Victoire pour la Presse

Quatre journalistes turcs, dont un photographe de l’AFP, viennent d’être relaxés après avoir été arrêtés simplement pour avoir couvert des manifestations. Une victoire ? Oui, mais qui met cruellement en lumière les méthodes utilisées pour faire taire la presse… Que s’est-il vraiment passé à Istanbul ?

Imaginez-vous au cœur d’une manifestation, appareil photo à la main, en train de documenter l’histoire en train de s’écrire. Et soudain, des policiers vous arrêtent, vous accusent d’y participer plutôt que de la couvrir. C’est exactement ce qui est arrivé à quatre journalistes turcs au printemps dernier. Leur relaxe, prononcée ce jeudi à Istanbul, soulève à la fois un immense soulagement… et de nombreuses questions sur l’état de la liberté de la presse dans le pays.

Une relaxe qui tombe enfin, mais bien tard

Le tribunal d’Istanbul a tranché : aucun élément concret ne permet de dire que les quatre prévenus ont commis l’infraction reprochée. En d’autres termes, ils n’ont fait que leur travail. Le photographe Yasin Akgül, le reporter indépendant Bülent Kiliç, le journaliste Ali Onur Tosun et la reporter Zeynep Kuray sont donc libres de toute charge.

Cette décision met fin à plusieurs mois d’angoisse. Interpellés à leur domicile fin mars, ils avaient passé plusieurs jours en détention avant d’être remis en liberté sous contrôle judiciaire dans l’attente de leur procès. Une épreuve psychologique lourde, comme l’a confié Yasin Akgül lui-même : « Ce jugement est le bon, même s’il arrive tard. Je suis très heureux de pouvoir enfin tourner la page de cette pression. »

Retour sur les faits : de la couverture à l’accusation

Tout commence en mars 2025. Le maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, figure majeure de l’opposition et principal adversaire du président Recep Tayyip Erdogan, est arrêté. La nouvelle déclenche une vague de contestation dans tout le pays, la plus importante depuis les événements de Gezi en 2013.

Des milliers de personnes descendent dans la rue pour réclamer sa libération. Les journalistes, eux, sont là pour témoigner. Ils prennent des photos, filment, interviewent. Rien que de très normal. Pourtant, quelques jours plus tard, les forces de l’ordre frappent à leur porte à l’aube. Motif invoqué : participation à une manifestation non autorisée.

Le décalage est total. Ceux qui documentaient les événements se retrouvent accusés de les avoir organisés ou soutenus activement. Une méthode qui, malheureusement, n’est pas nouvelle en Turquie quand il s’agit de faire taire les voix critiques.

Les mots du tribunal : une claque pour l’accusation

Le jugement est sans appel. Les juges estiment qu’« il n’existe aucun fondement solide permettant de conclure que les prévenus ont commis l’infraction alléguée ». Autrement dit, l’accusation reposait sur du vent.

« Il n’existe aucun fondement solide permettant de conclure que les prévenus ont commis l’infraction alléguée. »

Extrait du jugement du tribunal d’Istanbul

Cette phrase, lue froidement, représente une victoire juridique majeure. Elle reconnaît noir sur blanc que couvrir une manifestation n’équivaut pas à y prendre part. Un principe élémentaire du journalisme… qui avait pourtant été oublié dans ce dossier.

Des arrestations arbitraires qui pèsent lourd

L’avocat de Yasin Akgül, Me Kemal Kumkumoglu, ne cache pas sa satisfaction, mais reste lucide. Pour lui, ce genre de poursuites « fait peser un grave risque sur la liberté de la presse ». Même quand elles se soldent par une relaxe, elles laissent des traces : peur, autocensure, épuisement.

Erol Önderoğlu, représentant de Reporters sans frontières en Turquie, va plus loin. Il parle d’arrestations « arbitraires » et dénonce la façon dont « le droit du public à l’information est bafoué ». Car au-delà des quatre journalistes relaxés jeudi, des dizaines d’autres reporters et photographes ont été interpellés lors de ces mêmes manifestations.

Beaucoup sont encore dans l’attente de jugement. D’autres ont été condamnés à des peines avec sursis. Le message envoyé est clair : filmer ou photographier les contestations peut vous valoir des ennuis.

Un précédent dangereux depuis Gezi

Cette affaire n’est pas isolée. Elle s’inscrit dans une longue série de pressions exercées sur les médias depuis plus d’une décennie. Les événements de Gezi en 2013 avaient déjà marqué un tournant : des centaines de journalistes avaient été poursuivis, licenciés ou contraints à l’exil.

Depuis, la Turquie a continué de dégringoler dans le classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF. En 2025, elle pointe toujours parmi les pires élèves, juste devant des pays en guerre ou sous dictature ouverte.

Les outils juridiques sont rodés : loi antiterroriste, injures au président, participation à manifestation illégale… Tout est bon pour faire taire ceux qui montrent ce que le pouvoir préférerait garder dans l’ombre.

Ekrem Imamoglu, l’homme qui fait trembler le pouvoir

Au cœur de cette vague de contestation : Ekrem Imamoglu. Le maire d’Istanbul, élu en 2019 puis réélu triomphalement en 2024, représente l’espoir d’une alternance pour des millions de Turcs. Charismatique, jeune, issu de la société civile, il incarne tout ce que le président actuel redoute.

Son arrestation en mars a donc agi comme un détonateur. Les Turcs sont descendus dans la rue par dizaines de milliers, bravant les gaz lacrymogènes et les canons à eau. Et le pouvoir a répondu par la répression tous azimuts : manifestants, avocats, et bien sûr journalistes.

Le président Erdogan avait d’ailleurs été très clair à l’époque : il jurerait de ne pas céder à ce qu’il appelle la « terreur de la rue ». Un vocabulaire martial qui en dit long sur la façon dont le pouvoir perçoit toute forme de contestation.

Que change vraiment cette relaxe ?

Sur le plan symbolique, c’est une immense victoire. Quatre journalistes, dont un travaillant pour une agence internationale, sortent blanchis d’une accusation ubuesque. Le message envoyé au monde est clair : non, couvrir une manifestation n’est pas un crime.

Mais sur le terrain, la situation reste préoccupante. Des dizaines d’autres reporters attendent encore leur procès. Certains sont toujours en prison. Et la menace d’une nouvelle vague répressive plane en permanence.

Comme le résume Erol Önderoğlu : « La relaxe des journalistes est un soulagement, mais elle révèle aussi que leur arrestation était arbitraire. » En clair, ils n’auraient jamais dû être poursuivis. Et pourtant, ils l’ont été. Pendant des mois.

Et maintenant ? Vers une amélioration ou un statu quo ?

Cette décision judiciaire pourrait-elle marquer un tournant ? Difficile à dire. Dans le passé, des relaxes spectaculaires n’avaient pas empêché la poursuite des pressions sur les médias. Mais chaque victoire compte.

Pour Yasin Akgül et ses collègues, c’est déjà une immense délivrance. Ils peuvent à nouveau travailler sans cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Mais ils savent aussi que rien n’est jamais acquis.

La liberté de la presse en Turquie reste un combat de tous les instants. Et tant que des journalistes seront arrêtés simplement pour avoir fait leur travail, la démocratie turque restera fragile. Cette relaxe est une bonne nouvelle. Espérons qu’elle ne restera pas une exception.

En résumé : Quatre journalistes viennent d’être relaxés à Istanbul après avoir été accusés à tort de participation à une manifestation. Un jugement qui reconnaît enfin que faire son métier n’est pas un délit… mais qui met aussi en lumière les méthodes utilisées pour museler la presse dans le pays.

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