Imaginez un pays encore hanté par les fantômes d’une dictature sanglante, à quelques jours d’élire peut-être le président le plus à droite depuis la fin de ce régime. C’est exactement la situation dans laquelle se trouve le Chili aujourd’hui.
José Antonio Kast, candidat ultraconservateur donné largement favori pour le second tour de dimanche, vient de franchir une ligne que beaucoup considéraient comme rouge : il s’est dit prêt à envisager des réductions de peine, voire des réexamens de situation, pour certains condamnés pour violations graves des droits de l’homme sous Augusto Pinochet.
Une déclaration qui fait l’effet d’une bombe à cinq jours du scrutin
C’était mardi soir, lors du dernier grand débat télévisé face à Jeannette Jara, sa rivale de la coalition de centre-gauche. Le ton était déjà électrique. Puis Kast a lâché ces mots qui ont immédiatement enflammé les réseaux et les rédactions.
Il a pris l’exemple d’un jeune de 18 ans effectuant son service militaire obligatoire à l’époque, posté comme simple garde. « Quelle possibilité avait-il de savoir ce qui se passait vraiment ? Aucune », a-t-il affirmé. Pour lui, certains cas mériteraient d’être réexaminés avec plus « d’humanité ».
« Mais pour eux, c’est un délinquant qu’il faut condamner et qui doit mourir en prison »
José Antonio Kast, en référence à la gauche chilienne
Un projet de loi déjà sur la table du Parlement
Derrière les déclarations du candidat se cache une initiative législative bien réelle. Des parlementaires de droite poussent actuellement un texte permettant aux détenus âgés de plus de 80 ans ou atteints de maladies terminales de purger leur peine en dehors de prison.
Problème : ce projet bénéficierait directement à plusieurs anciens agents de la dictature condamnés pour crimes contre l’humanité. Des militaires, des membres de la police secrète, des fonctionnaires impliqués dans des disparitions, des tortures ou des exécutions.
Jusque-là, José Antonio Kast avait soigneusement évité le sujet pendant la campagne. Sa déclaration de mardi marque donc un tournant clair.
La réponse immédiate et virulente du gouvernement sortant
La porte-parole du gouvernement de Gabriel Boric, Camila Vallejo, n’a pas attendu une seconde pour réagir. Elle a qualifié l’initiative de « scandaleuse » et d’« offensante » pour les victimes et leurs familles.
« L’extrême droite cherche à faire sortir de prison des criminels […] Promouvoir la libération des bourreaux simplement parce qu’ils sont âgés est aberrant »
Camila Vallejo, porte-parole du gouvernement
Pour le camp de gauche, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une tentative déguisée d’amnistie pour les responsables des pires atrocités de la dictature.
Un favori donné entre 55 % et 60 % dans les sondages
Et pourtant, malgré la polémique, José Antonio Kast caracole en tête. Les derniers sondages le créditent de 55 à 60 % des intentions de vote. Au premier tour, il était arrivé deuxième derrière Jeannette Jara, mais l’ensemble des voix de droite avait dépassé les 50 %.
À 59 ans, cet ancien député, catholique traditionaliste revendiqué et admirateur assumé de certains aspects du régime Pinochet (notamment sur le plan économique), pourrait devenir en mars prochain le président le plus à droite depuis la retour de la démocratie en 1990.
Jeannette Jara exclut toute forme de grâce
Face à lui, Jeannette Jara, 51 ans, représentante d’une large coalition allant des communistes modérés au centre-gauche, a été catégorique : dans son éventuel gouvernement, il n’y aura aucune grâce, aucune réduction de peine, aucun assouplissement pour les condamnés de la dictature.
Elle incarne la continuité du projet de Gabriel Boric, même si son profil plus modéré a permis d’élargir la base électorale à gauche pour le second tour.
Un pays toujours divisé trente-cinq ans après Pinochet
Cette polémique remet cruellement en lumière la fracture chilienne. Plus de trente-cinq ans après la fin de la dictature (1973-1990), qui a fait plus de 3 200 morts et disparus, le sujet reste incandescent.
D’un côté, ceux qui estiment que la justice a fait son travail et que les condamnations, souvent prononcées des décennies après les faits, doivent être intégralement exécutées. De l’autre, ceux qui considèrent que certains condamnés, très âgés aujourd’hui, ont déjà purgé une grande partie de leur peine et méritent une forme de clémence humanitaire.
Entre les deux, des milliers de familles qui attendent toujours vérité et justice pour leurs proches disparus.
Que se passera-t-il dimanche soir ?
Si José Antonio Kast l’emporte, comme le prédisent la plupart des instituts de sondage, le Chili basculera vers une présidence radicalement différente de celle de Gabriel Boric. Et la question des anciens condamnés de la dictature reviendra immanquablement sur le devant de la scène.
Le nouveau président aura-t-il les mains libres pour pousser des réformes favorables à ces réductions de peine ? Disposera-t-il d’une majorité parlementaire suffisante ? Ou la polémique actuelle aura-t-elle finalement un coût électoral imprévu ?
Une chose est sûre : dimanche soir, quand les premiers résultats tomberont, le Chili ne regardera pas seulement qui sera son prochain président. Il regardera aussi dans quelle direction il choisit de tourner le regard sur son passé le plus douloureux.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Le temps de la clémence est-il venu, ou au contraire faut-il maintenir une fermeté absolue face aux crimes du passé ? Le débat est loin d’être clos.
À retenir : À cinq jours d’une élection historique, José Antonio Kast ouvre la porte à des gestes de clémence envers certains condamnés de la dictature Pinochet, déclenchant une vive polémique nationale. Le Chili se prépare à choisir entre mémoire implacable et possible réconciliation.









