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Joropo Vénézuélien : L’UNESCO Consacre l’Âme des Llanos

Le joropo, cette explosion de harpe, de cuatro et de pas frappés, vient d’entrer au patrimoine mondial de l’UNESCO. Au milieu des tensions avec Washington et de la crise, le Venezuela célèbre enfin une immense victoire culturelle… mais que va changer cette distinction pour les nouvelles générations ?

Imaginez un sol qui tremble sous les talons, une harpe qui pleure et rit en même temps, des maracas qui claquent comme un cœur affolé. C’est cela, le joropo : une tempête de joie brute née dans l’immensité des plaines vénézuéliennes. Et mardi, l’UNESCO a décidé que ce trésor vivant méritait de résonner aux oreilles du monde entier.

Une reconnaissance longtemps attendue pour l’âme vénézuélienne

L’annonce est officielle : le joropo du Venezuela fait désormais partie du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Cette inscription, annoncée à Paris, vient couronner des décennies de passion, de sueur et de poussière soulevée par des milliers de danseurs anonymes dans les villages des Llanos.

Ce n’est pas seulement une ligne de plus sur un registre international. C’est la reconnaissance d’un peuple qui, malgré les tempêtes politiques et économiques, continue de frapper le sol au rythme de 6/8 endiablé pour dire : « nous sommes toujours là ».

D’où vient vraiment le joropo ?

Le joropo est né au carrefour de trois continents. Les cordes pincées de la harpe rappellent l’Espagne coloniale, les rythmes syncopés portent l’empreinte africaine des esclaves amenés dans les haciendas, et la fierté du pas frappé vient des peuples indigènes qui dominaient déjà ces plaines avant l’arrivée des Européens.

Dans les États d’Apure, Barinas, Guárico ou Cojedes, on dit que le joropo n’est pas appris : il est attrapé. Comme une fièvre. Les enfants grandissent en entendant la harpe dès le berceau et apprennent à zapatear (frapper du talon) avant même de savoir lire.

Les instruments qui font chanter la plaine

Aucun autre style musical au monde ne ressemble à cette combinaison :

  • La harpe llanera, immense, 32 à 36 cordes, qui porte toute la mélodie et le contrepoint
  • Le cuatro, petite guitare à quatre cordes qui donne le rythme et les réponses espiègles
  • Les maracas, secouées avec une précision diabolique précision
  • La bandola ou le violon selon les régions
  • Et surtout : les pieds des danseurs, véritable percussion vivante

Le résultat ? Un tourbillon sonore où personne ne reste immobile.

La danse : un dialogue amoureux et guerrier

Le couple ne se touche presque jamais. Pourtant, tout est sensualité. La femme tournoie, jupe large et fleurie qui s’envole comme une corolle, l’homme la poursuit, la défie, la reconquiert à chaque valseo et chaque zapateado. C’est une conversation sans mots, parfois tendre, souvent provocatrice.

Les meilleurs danseurs font littéralement trembler le plancher. On raconte dans les villages que certains anciens pouvaient casser des talons rien qu’en dansant un Periquera ou un Seis por derecho trop enflammé.

« Le joropo a besoin de cet élan pour se rapprocher des nouvelles générations et rester vivant »

Annaé Torrealba, chanteuse et fille du légendaire Juan Vicente Torrealba

Une victoire symbolique dans un pays en crise

L’annonce tombe en plein bras de fer entre Caracas et Washington. Avions cloués au sol, déploiement militaire américain dans les Caraïbes… Et pourtant, ce mardi, les Vénézuéliens ont eu le droit à une immense bouffée d’oxygène culturel.

Le président Nicolás Maduro n’a pas caché sa joie : « Nous ne danserons jamais au rythme d’un étranger, mais au rythme du joropo ». Une phrase qui résonne comme un défi autant que comme une célébration.

Dans les rues de Caracas, César Marcano, électricien, résume le sentiment général : « Nous méritons cette joie au milieu de cette folie ». Pour lui, comme pour des millions de Vénézuéliens, le joropo est plus qu’une musique : c’est la preuve qu’on ne peut pas effacer une identité.

Le défi : transmettre aux nouvelles générations

À Caracas, les radios passent le joropo surtout à 5 heures du matin. Dans les centres commerciaux, on entend plus de reggaeton que de golpe tocuyano. Les jeunes des quartiers populaires connaissent parfois mieux Bad Bunny que Simón Díaz.

Pourtant, quelque chose bouge. Sur TikTok et Instagram, des adolescents reprennent des pas de joropo en tenue traditionnelle. Des groupes comme C4 Trío ou Cimarrón fusionnent le folklore avec le jazz ou le rock. Annaé Torrealba le confirme : « Il y a beaucoup de jeunes qui aiment le joropo, il faut juste leur donner plus d’espaces ».

Et maintenant ?

Cette inscription à l’UNESCO n’est pas une fin, c’est un début. Elle oblige le Venezuela à protéger, enseigner, diffuser. Des festivals plus importants, des cours dans les écoles, des scènes permanentes dans les grandes villes… Les musiciens en rêvent déjà.

Car tant qu’un pied frappera le sol au rythme d’une harpe llanera, le Venezuela continuera de respirer. Et maintenant, le monde entier est invité à écouter ce battement de cœur.

Le joropo n’est pas seulement une danse.
C’est la manière dont un peuple refuse de plier l’échine.
C’est la preuve qu’une nation peut être à genoux économiquement
et debout culturellement.

Alors la prochaine fois que vous entendrez une harpe pleurer dans le lointain, arrêtez-vous. C’est tout un pays qui danse pour ne pas mourir.

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