C’est un véritable coup de tonnerre qui a secoué la scène politique allemande. Jörg Kukies, un ancien banquier d’affaires de chez Goldman Sachs, vient d’être nommé ministre des Finances. Une décision qui ne manque pas de faire réagir, tant le parcours et le profil de cet homme de l’ombre détonnent avec les canons habituels de la fonction. Mais qui est vraiment Jörg Kukies et quelles sont ses ambitions pour l’économie allemande ?
De Goldman Sachs à la Chancellerie : l’irrésistible ascension de Jörg Kukies
Avant de faire son entrée en politique, Jörg Kukies a forgé son expérience dans les plus hautes sphères de la finance internationale. Diplômé de la Sorbonne et d’Harvard, ce natif de Mayence intègre dès le début des années 2000 la prestigieuse banque d’affaires Goldman Sachs. Il y gravit rapidement les échelons, gérant des dossiers à Londres, Francfort ou New York. Un parcours brillant, qui n’est pas sans rappeler celui d’un certain Emmanuel Macron en France.
En 2018, celui qui était alors co-responsable des activités de la banque en Allemagne est approché par le ministre des Finances de l’époque : Olaf Scholz. Ce dernier, séduit par le profil et l’expertise de Kukies, le convainc de le rejoindre au ministère comme secrétaire d’État. Un “saut dans l’inconnu” pour le banquier, mais aussi un pari osé pour Scholz, la nomination suscitant des remous au sein-même du parti social-démocrate (SPD).
Les sociaux-démocrates confient la préparation du budget fédéral précisément à un ancien banquier de Goldman Sachs
Cela en dit long sur l’état du parti.
Sahra Wagenknecht, cheffe du parti BSW
Un proche de Scholz, adepte de l’interventionnisme d’État
Malgré ces critiques, Kukies s’impose rapidement comme un rouage essentiel de la Chancellerie. Principal conseiller de Scholz sur les dossiers économiques et financiers, il œuvre dans l’ombre lors des grands sommets internationaux du G7 et du G20. Une proximité et une loyauté qui lui valent aujourd’hui d’accéder au prestigieux maroquin de ministre des Finances.
Durant son passage au ministère, Kukies s’est illustré en soutenant un interventionnisme marqué de l’État dans l’économie. Artisan de la nationalisation temporaire de Lufthansa durant la crise du Covid, il a aussi supervisé un fonds de stabilisation économique pour venir en aide aux entreprises en difficulté. Une politique volontariste, qui tranche avec le traditionnelle orthodoxie budgétaire allemande.
Le dossier Wirecard, seule ombre au tableau
Le nouveau ministre n’échappe toutefois pas à la controverse. Son nom a été cité dans l’affaire Wirecard, ce prestataire de services de paiement dont la faillite frauduleuse en 2020 a ébranlé la finance allemande. Kukies avait rencontré le patron de l’entreprise quelques mois avant le scandale, suscitant des interrogations sur son rôle. Une commission d’enquête parlementaire l’a cependant blanchi de tout soupçon.
Quels défis pour le nouveau ministre des Finances ?
En accédant à ce poste stratégique, Jörg Kukies devra faire face à de nombreux défis. L’économie allemande, fragilisée par les crises successives et la guerre en Ukraine, a plus que jamais besoin d’un cap clair. Le ministre devra aussi composer avec des partenaires de coalition divisés sur les priorités budgétaires, entre rigueur et relance.
Sur le plan européen, il lui faudra clarifier la position de Berlin sur des dossiers brûlants comme la réforme de la zone euro ou la taxe sur les transactions financières. Autant de chantiers titanesques, pour lesquels l’expérience et le carnet d’adresses de ce fin connaisseur des marchés pourraient s’avérer précieux.
Pendant des années, j’ai conseillé des décideurs politiques. Il est maintenant temps pour moi d’assumer des responsabilités directes dans l’intérêt du pays.
Jörg Kukies
Homme de réseaux et de compromis, adepte d’un capitalisme corrigé par l’action publique, Kukies porte en lui la promesse d’un nouveau logiciel économique pour l’Allemagne. Mais ses détracteurs craignent que sa proximité avec le monde de la finance ne le pousse à défendre les intérêts des banques et des multinationales, au détriment des classes populaires.
Une chose est sûre, l’arrivée de ce “fils spirituel” d’Olaf Scholz au ministère des Finances est un signal politique fort. Celui d’un social-libéralisme assumé, cherchant à réconcilier performance économique et progrès social. Un équilibre fragile, qui se jouera autant dans les couloirs feutrés du ministère que sur le terrain de l’opinion publique. Le début d’une nouvelle ère, ou un simple ravalement de façade ? L’avenir nous le dira.
Mais une question demeure : l’ancien “golden boy” parviendra-t-il à se faire accepter d’une opinion allemande souvent méfiante à l’égard du monde de la finance ? Son passé de jeune militant socialiste suffira-t-il à rassurer sur ses convictions profondes ? Pour réussir son pari, Jörg Kukies devra faire preuve de pédagogie et de transparence. Et surtout, ne jamais oublier qu’il doit maintenant rendre des comptes, non plus à des actionnaires, mais à l’ensemble des citoyens allemands.