Dans les étendues arides du Sahel, une menace silencieuse mais puissante s’enracine. Loin des projecteurs, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), lié à al-Qaïda, tisse une toile économique et politique qui redéfinit les dynamiques locales. Comment un groupe jihadiste peut-il devenir un acteur incontournable du commerce régional, contrôlant des ressources vitales comme le carburant ou les médicaments ? Cet article plonge au cœur de cette emprise croissante, révélant les mécanismes d’une gouvernance parallèle qui prospère dans l’ombre des États défaillants.
Le JNIM : Une Puissance Économique au Cœur du Sahel
Le Sahel, région s’étendant du Mali au Niger en passant par le Burkina Faso, est un carrefour stratégique où les routes commerciales ancestrales rencontrent des défis modernes. Le JNIM, formé en 2017 par la fusion de plusieurs groupes jihadistes, a su exploiter cette position géographique pour s’imposer comme un acteur économique clé. Selon des rapports récents, ce groupe contrôle désormais entre 60 et 70 % du territoire burkinabè et de vastes zones au Mali, échappant au contrôle des gouvernements centraux. Mais comment un groupe terroriste devient-il un gestionnaire de flux commerciaux ?
Le Contrôle des Routes : Une Stratégie de Domination
Les corridors transfrontaliers, comme le complexe W-Arly-Pendjari, une réserve naturelle à cheval sur le Burkina Faso, le Niger et le Bénin, sont devenus des artères vitales pour le JNIM. En contrôlant ces routes, le groupe régule le passage des marchandises, impose des taxes illégales et s’assure un flux constant de revenus. Les transporteurs, qu’ils acheminent du carburant ou des produits de première nécessité, doivent payer un tribut pour éviter les représailles. Ce racket, bien organisé, s’apparente à une forme de gouvernance parallèle.
« Les jihadistes ne se contentent pas de combattre ; ils administrent, taxent et contrôlent les flux économiques comme un État de l’ombre. »
Expert en sécurité africaine
Ce contrôle s’étend aux marchés locaux, où le JNIM supervise la vente de produits comme les motos, essentielles pour la mobilité dans ces régions reculées. En imposant des règles strictes, le groupe gagne non seulement des fonds, mais aussi une légitimité auprès des populations locales, souvent abandonnées par les autorités centrales.
Trafic de Carburant : Le Nerf de la Guerre
Le carburant, vital pour les transports et les générateurs dans une région où l’électricité est rare, est une ressource stratégique. Depuis septembre, le JNIM a intensifié son blocus sur les produits pétroliers au Mali, provoquant des pénuries dramatiques, notamment à Bamako. Chaque camion-citerne qui parvient à entrer dans la capitale, sous escorte militaire, est un défi logistique. Ce blocus ne vise pas seulement à affaiblir les autorités, mais aussi à canaliser les profits vers le groupe.
Le carburant, taxé à des points de contrôle stratégiques, génère des revenus colossaux pour le JNIM. Ces fonds financent non seulement leurs opérations armées, mais aussi des services rudimentaires pour les communautés locales, renforçant leur emprise.
Ce contrôle économique s’accompagne d’une présence accrue dans les zones rurales, où le JNIM impose des règles sur les activités commerciales. Les éleveurs, par exemple, doivent payer une zakat, une taxe islamique détournée pour financer les activités du groupe. Cette stratégie, bien que brutale, permet au JNIM de s’intégrer dans l’économie locale tout en consolidant son pouvoir.
Médicaments et Motos : Le Commerce de l’Essentiel
Dans un contexte où les infrastructures de santé sont quasi inexistantes, le commerce des médicaments est une aubaine pour le JNIM. Le groupe contrôle l’approvisionnement de produits pharmaceutiques, souvent contrefaits ou issus de réseaux illégaux, dans les zones sous son influence. Cette mainmise lui permet de répondre à un besoin vital, tout en générant des profits substantiels.
Les motos, quant à elles, sont omniprésentes dans le Sahel, où les routes asphaltées sont rares. Le JNIM taxe leur commerce et leur utilisation, transformant un moyen de transport essentiel en une source de revenus. Ce contrôle s’étend aux pièces détachées, rendant les populations dépendantes du groupe pour leur mobilité.
- Taxation des motos et des pièces détachées.
- Contrôle des flux de médicaments contrefaits.
- Imposition de la zakat sur les éleveurs locaux.
En s’infiltrant dans ces secteurs, le JNIM ne se contente pas de racketter : il se positionne comme un acteur incontournable, capable de fournir des biens essentiels là où l’État est absent.
Une Gouvernance Parallèle : Entre Terreur et Services
Le succès du JNIM réside dans sa capacité à combiner terreur et services. En offrant une forme de gouvernance, même rudimentaire, dans des régions délaissées, le groupe gagne la loyauté, ou du moins la résignation, des populations. Les écoles coraniques qu’il finance, les litiges qu’il arbitre et les marchés qu’il protège renforcent son image de pouvoir alternatif.
« Dans certaines zones, le JNIM est perçu comme plus fiable que l’État, car il répond à des besoins immédiats. »
Analyste régional
Cette stratégie rappelle celle d’autres groupes jihadistes, comme l’État islamique à ses débuts. En contrôlant les ressources et en offrant des services, le JNIM s’ancre dans le tissu social, rendant son éradication d’autant plus complexe.
Les Défis pour les États du Sahel
Face à cette emprise croissante, les gouvernements du Mali, du Burkina Faso et du Niger peinent à réagir. Les forces armées, souvent sous-équipées, luttent pour reprendre le contrôle des territoires perdus. Les sanctions internationales et les crises politiques internes compliquent encore la situation, laissant un vide que le JNIM exploite avec habileté.
Pays | Zone sous contrôle JNIM | Défis majeurs |
---|---|---|
Mali | Ouest et Sud | Blocus pétrolier, faiblesse de l’État |
Burkina Faso | 60-70 % du territoire | Insécurité, crises politiques |
Niger | Régions frontalières | Trafics transfrontaliers |
Les efforts internationaux, comme les opérations militaires françaises ou les missions de l’ONU, ont montré leurs limites. Sans une stratégie globale combinant sécurité, développement économique et gouvernance, le JNIM risque de continuer à prospérer.
Perspectives : Un Défi à Long Terme
Le JNIM n’est pas un simple groupe armé ; c’est une organisation qui a su transformer les failles des États du Sahel en opportunités. En contrôlant les routes, les ressources et même les esprits, il s’impose comme un acteur incontournable. Pour contrer cette menace, il faudra plus que des interventions militaires : un investissement massif dans les infrastructures, l’éducation et la gouvernance locale est essentiel.
- Renforcer les infrastructures étatiques dans les zones rurales.
- Lutter contre la corruption pour restaurer la confiance des populations.
- Développer des alternatives économiques pour contrer les trafics illicites.
En attendant, le JNIM continue d’étendre son emprise, exploitant chaque faille pour asseoir son pouvoir. La question reste posée : comment les États du Sahel, et la communauté internationale, peuvent-ils reprendre la main face à une organisation aussi profondément enracinée ?
Le Sahel, à la croisée des chemins, oscille entre chaos et résilience. L’avenir dépendra de la capacité des gouvernements à répondre aux besoins des populations tout en luttant contre cette menace protéiforme. Une chose est sûre : le JNIM, avec son emprise économique et sa gouvernance parallèle, n’est pas prêt de disparaître sans une réponse globale et concertée.