Quand un cinéaste de renom comme Jim Jarmusch, connu pour son regard aiguisé sur la société, exprime publiquement sa déception face à une décision de son distributeur, l’onde de choc se propage rapidement. À la Mostra de Venise, où son dernier film Father Mother Sister Brother a été dévoilé, le réalisateur américain a pris la parole pour critiquer Mubi, la plateforme de streaming et de distribution spécialisée dans le cinéma d’art et d’essai. En cause ? Un investissement de 100 millions de dollars provenant d’un fonds de capital-risque lié à une entreprise de défense israélienne. Cette révélation, qui a suscité une pétition signée par Jarmusch et d’autres artistes, soulève des questions brûlantes sur l’éthique dans le financement du cinéma indépendant.
Une Polémique qui Ébranle le Cinéma Indépendant
Le cinéma indépendant, par essence, se veut libre, audacieux, et souvent en marge des grandes industries. Pourtant, il repose sur des réalités économiques complexes. La récente controverse autour de Mubi illustre cette tension. La plateforme, souvent comparée à un Netflix des films d’auteur, a accepté un financement massif de Sequoia Capital, une société de la Silicon Valley. Ce qui pose problème ? Sequoia Capital soutient également Kela, une entreprise israélienne spécialisée dans la défense, ce qui a suscité l’indignation d’une partie de la communauté artistique.
Toute suggestion selon laquelle notre travail serait lié au financement de la guerre est tout simplement fausse.
Efe Cakarel, PDG de Mubi
Malgré cette réponse, la pilule passe mal. Jarmusch, figure emblématique du cinéma indépendant avec des œuvres comme Broken Flowers ou Dead Man, n’a pas caché son trouble. Lors d’une conférence de presse à Venise, il a exprimé sa déception face à cette association, tout en nuançant son propos. Pour lui, travailler avec Mubi avait été une expérience positive jusqu’à cette découverte. Mais il a aussi rappelé une réalité incontournable : dans le monde du cinéma, l’argent provient souvent de sources troubles.
L’Éthique dans le Financement du Cinéma
Le cas de Mubi et Sequoia Capital n’est pas isolé. Le cinéma, même indépendant, repose sur des financements complexes, souvent issus de grandes entreprises ou de fonds d’investissement. Jarmusch lui-même l’admet : “pratiquement tout l’argent des entreprises est de l’argent sale”. Cette déclaration, brutale mais lucide, met en lumière une vérité inconfortable. Les cinéastes, même les plus idéalistes, doivent parfois composer avec des compromis éthiques pour mener à bien leurs projets.
Pour mieux comprendre cette problématique, voici quelques points clés :
- Origine des fonds : Les sociétés de production et de distribution dépendent souvent de capitaux extérieurs, parfois liés à des industries controversées.
- Transparence : Les artistes, comme Jarmusch, ne sont pas toujours informés des détails des investissements derrière leurs partenaires.
- Impact sur la création : Les financements influencent-ils le contenu des films ? Pour Jarmusch, la réponse est non, mais la question reste ouverte.
Cette situation soulève une question essentielle : jusqu’où un artiste doit-il aller pour préserver son intégrité ? Jarmusch, en signant la pétition contre Mubi, a choisi de prendre position, tout en continuant à collaborer avec la plateforme pour la distribution de son film. Un équilibre délicat, qui reflète les contradictions du milieu.
Father Mother Sister Brother : Un Film sous les Projecteurs
Au cœur de cette tempête, le nouveau film de Jarmusch, Father Mother Sister Brother, attire tous les regards. Présenté à la Mostra de Venise, ce long-métrage explore les dynamiques des familles dysfonctionnelles à travers trois histoires distinctes, se déroulant sur la côte est des États-Unis, à Dublin et à Paris. Avec un casting prestigieux incluant Cate Blanchett, Adam Driver et Tom Waits, le film promet une réflexion profonde sur les liens familiaux, fidèle au style introspectif et poétique de Jarmusch.
Mais la polémique autour de Mubi risque-t-elle d’éclipser l’œuvre elle-même ? Pour l’instant, le cinéaste semble déterminé à recentrer l’attention sur son travail. Il a d’ailleurs souligné la qualité de sa collaboration avec Mubi, malgré les récents remous. Ce paradoxe illustre bien la complexité de la situation : un film porté par une vision artistique forte, mais entaché par des considérations financières controversées.
Un Exil Artistique vers la France
En parallèle de cette polémique, Jarmusch a révélé un projet personnel qui a surpris les observateurs : il a déposé une demande pour un visa d’artiste en France. Ce permis de séjour, qui offre une résidence de longue durée, est prisé par les créateurs du monde entier. À 72 ans, le cinéaste envisage même de tourner son prochain film dans l’Hexagone, marquant une nouvelle étape dans sa carrière.
Je suis en train de faire les démarches pour obtenir mon visa d’artiste français. Et j’ai l’intention de tourner un nouveau film en France.
Jim Jarmusch
Ce choix n’est pas anodin. Jarmusch s’inscrit dans une vague d’artistes américains qui, face à un climat politique tendu aux États-Unis, cherchent refuge à l’étranger. Des figures comme Ellen DeGeneres, installée à Londres, ou Rosie O’Donnell, établie en Irlande, illustrent cette tendance. La présidence de Donald Trump, souvent critiquée par le milieu artistique, semble accélérer cet exode créatif.
| Artiste | Destination |
|---|---|
| Jim Jarmusch | France |
| Ellen DeGeneres | Londres |
| Rosie O’Donnell | Irlande |
Ce mouvement reflète une quête de liberté artistique et d’un environnement plus favorable à la création. La France, avec son histoire d’accueil des artistes et son soutien au cinéma d’auteur, apparaît comme une destination logique pour Jarmusch. Mais ce choix soulève aussi des questions : est-ce une fuite face aux tensions politiques américaines, ou une simple envie de renouveau créatif ?
Les Défis du Cinéma Indépendant à l’Ère Moderne
La controverse autour de Mubi et l’exil annoncé de Jarmusch mettent en lumière les défis auxquels le cinéma indépendant est confronté aujourd’hui. D’un côté, les artistes doivent naviguer dans un monde où les financements sont souvent liés à des intérêts complexes, voire controversés. De l’autre, ils cherchent des espaces où leur liberté créative peut s’exprimer pleinement.
Pour mieux saisir ces enjeux, voici un résumé des principaux défis :
- Financements controversés : Les fonds d’investissement, comme Sequoia Capital, soutiennent souvent des industries éloignées des valeurs des artistes.
- Pression politique : Les tensions géopolitiques, comme celles entourant Israël, influencent les perceptions des partenariats financiers.
- Exil artistique : De nombreux créateurs quittent leur pays d’origine pour trouver des environnements plus propices à leur travail.
Ces défis ne sont pas nouveaux, mais ils prennent une ampleur particulière à une époque où les réseaux sociaux et les pétitions en ligne amplifient les controverses. Pour Jarmusch, la solution semble résider dans un pragmatisme teinté d’idéalisme : continuer à créer, tout en dénonçant les dérives qu’il observe.
Quel Avenir pour Jarmusch et le Cinéma Indépendant ?
Alors que Father Mother Sister Brother s’apprête à conquérir les écrans, la polémique autour de Mubi rappelle que le cinéma indépendant n’échappe pas aux réalités du monde. Jarmusch, avec sa franchise habituelle, n’a pas hésité à exprimer son malaise, tout en poursuivant son travail. Son projet de s’installer en France ouvre également de nouvelles perspectives pour sa carrière, dans un pays où le cinéma d’auteur est célébré.
Mais au-delà de son cas personnel, cette affaire pose une question plus large : comment les artistes peuvent-ils préserver leur intégrité dans un monde où l’argent et la politique s’entremêlent ? La réponse, complexe, repose peut-être sur un équilibre entre engagement et pragmatisme, entre création et résistance.
En attendant, les regards se tournent vers Venise, où le dernier opus de Jarmusch promet de marquer les esprits. Entre récits familiaux poignants et casting d’exception, Father Mother Sister Brother pourrait bien rappeler pourquoi le cinéma indépendant reste une voix essentielle, malgré les tempêtes qui l’entourent.
