Dans un gymnase bondé de Rancagua, une ville minière du centre du Chili, une femme de 51 ans s’adresse à la foule avec assurance. Pas de symboles partisans, pas de faucilles ni de marteaux, mais des drapeaux chiliens flottant fièrement. Cette femme, c’est Jeannette Jara, la candidate communiste qui bouscule les codes de la politique chilienne. À l’approche de l’élection présidentielle du 16 novembre 2025, elle incarne une gauche moderne, pragmatique, et ambitionne de rassembler un électorat bien plus large que celui de son parti. Mais dans un pays où les clivages idéologiques s’intensifient, son pari est-il tenable ?
Une Candidate aux Multiples Facettes
Jeannette Jara n’est pas une figure politique ordinaire. Fille d’un mécanicien et d’une femme de ménage, elle a grandi dans un milieu modeste, confrontée tôt aux responsabilités familiales. Avocate de formation, elle a forgé sa carrière au sein du Parti communiste chilien, un mouvement historiquement influent, notamment sous la présidence de Salvador Allende dans les années 1970. Mais loin de s’enfermer dans une rhétorique dogmatique, elle a choisi une voie plus pragmatique, cherchant à séduire au-delà des frontières idéologiques.
Sa campagne, marquée par l’absence de symboles partisans, reflète cette volonté de rassemblement. Lors de ses rassemblements, comme celui de Rancagua, elle s’adresse à la foule avec un discours inclusif, insistant sur l’importance de toutes les opinions pour construire un projet commun. Cette approche, inhabituelle pour une candidate issue d’un parti traditionnellement rigide, séduit de nombreux électeurs, comme Estefany Lopez, une travailleuse sociale de 33 ans, qui voit en elle une leader capable de transcender les divisions.
“Je la vois comme une femme capable de rassembler, de dépasser son idéologie.”
Estefany Lopez, travailleuse sociale
Une Ascension Politique Remarquable
Jeannette Jara s’est imposée sur la scène nationale grâce à son rôle de ministre du Travail sous le gouvernement de Gabriel Boric, président sortant. Elle a marqué les esprits en menant à bien deux réformes majeures : une refonte du système de pensions, très attendue dans un pays où ce secteur est largement privatisé, et la réduction de la semaine de travail de 45 à 40 heures. Ces mesures, négociées avec les partenaires sociaux et l’opposition, témoignent de sa capacité à dialoguer et à trouver des compromis, une qualité rare dans un paysage politique polarisé.
Son charisme et son pragmatisme ont également joué un rôle clé. “Il ne faut pas tomber amoureux de ses propres idées”, répète-t-elle souvent, une phrase qui résume son approche ouverte et flexible. Cette posture a convaincu son parti de lui accorder une autonomie rare, comme l’explique Daniel Nuñez, sénateur communiste : “Le Parti communiste lui a donné toute la liberté nécessaire pour mener cette campagne et affirmer son leadership.”
Les Réformes Clés de Jeannette Jara
- Réforme des pensions : Une refonte pour renforcer un système fragilisé par la privatisation.
- Semaine de 40 heures : Une réduction du temps de travail pour améliorer la qualité de vie.
- Dialogue social : Une capacité à négocier avec des acteurs aux intérêts divergents.
Un Communisme Revisité
Dans un pays où l’économie est l’une des plus libérales d’Amérique latine, Jeannette Jara se distingue par une approche qui flirte avec la social-démocratie. Elle n’hésite pas à critiquer des régimes comme ceux du Venezuela ou de Cuba, rompant avec la ligne traditionnelle de son parti. Cette prise de position, audacieuse, vise à apaiser les craintes de ceux qui associent le communisme à des dérives autoritaires. “Nous devons regarder la personne, pas l’étiquette”, affirme Esmeralda Ojeda, une enseignante de 53 ans, illustrant l’impact de cette stratégie.
Pour l’analyste Eugenio Tironi, Jara incarne une gauche moderne, ancrée dans les réalités contemporaines. “Elle fait partie d’un secteur qui n’a pas de problème à se déclarer social-démocrate, avec une vision plus libérale de l’économie et qui participe à la culture pop”, explique-t-il. Cette modernité, alliée à son discours inclusif, lui permet de séduire un électorat varié, des jeunes aux classes moyennes.
“Elle incarne une gauche moderne, proche du grand public et des tendances contemporaines.”
Eugenio Tironi, analyste
Les Défis d’une Campagne Polarisée
Malgré son avance dans les sondages, où elle est à égalité avec José Antonio Kast, un candidat d’extrême droite, Jeannette Jara fait face à des défis majeurs. Le Chili est profondément divisé, et son appartenance au Parti communiste suscite des inquiétudes. “Je suis terrifiée à l’idée que le Chili devienne une nouvelle Cuba ou un nouveau Venezuela”, confie Astrid Hernandez, une retraitée de 78 ans. Ces craintes, alimentées par des décennies de propagande anti-communiste, sont un obstacle de taille.
Certains, comme Juan Sutil, ancien dirigeant patronal, doutent de sa capacité à rompre avec l’héritage dogmatique de son parti. “Il est difficile de croire qu’une personne formée depuis ses 14 ans dans un parti pyramidal a changé sa façon de penser”, déclare-t-il. Ernesto Ottone, ancien militant communiste, va plus loin, estimant que le Parti communiste a adopté des positions de plus en plus doctrinaires ces dernières années.
| Candidat | Positionnement | Défis |
|---|---|---|
| Jeannette Jara | Centre-gauche, communiste modérée | Surmonter la peur du communisme |
| José Antonio Kast | Extrême droite | Attirer un électorat modéré |
Rassurer le Monde des Affaires
Consciente des réticences du secteur économique, Jeannette Jara multiplie les gestes pour rassurer les milieux d’affaires. Lors d’un récent forum réunissant de grands patrons, elle a déclaré avec fermeté : “Sous mon gouvernement, personne ne vous expropriera de quoi que ce soit.” Cette promesse, inhabituelle pour une candidate communiste, vise à apaiser les craintes d’une radicalisation économique dans un pays où les services publics et les pensions sont largement privatisés.
Son soutien à une politique fiscale rigoureuse, alignée sur l’économie ouverte du Chili, renforce cette image de pragmatisme. Elle cherche à démontrer que son projet est compatible avec la stabilité économique, tout en défendant des réformes sociales ambitieuses. Cette approche hybride, mêlant progressisme social et réalisme économique, pourrait séduire les indécis, mais elle risque aussi de décevoir les franges les plus radicales de son parti.
Un Pari sur l’Unité
À quelques semaines du scrutin, la campagne de Jeannette Jara repose sur un équilibre délicat : incarner une gauche moderne tout en restant fidèle à ses racines. Son discours inclusif, son charisme et ses réformes réussies lui confèrent une avance dans les sondages, mais la polarisation du pays reste un obstacle. Réussira-t-elle à convaincre les sceptiques et à surmonter les préjugés liés à son étiquette communiste ?
Pour beaucoup, comme Estefany Lopez ou Esmeralda Ojeda, Jara représente un espoir de renouveau, une figure capable de réconcilier un pays fracturé. Pour d’autres, comme Astrid Hernandez, elle reste une menace potentielle. Une chose est sûre : sa campagne marque un tournant dans la politique chilienne, où les étiquettes traditionnelles s’effacent au profit d’une vision plus nuancée.
Pourquoi Jeannette Jara Fascine
- Inclusivité : Un discours qui transcende les clivages idéologiques.
- Pragmatisme : Une approche économique réaliste dans un pays libéral.
- Charisme : Une présence scénique qui capte l’attention des foules.
Le 16 novembre 2025, les Chiliens devront choisir entre la vision progressiste et unificatrice de Jeannette Jara et les propositions plus conservatrices de ses adversaires. Dans un contexte de tensions idéologiques, sa capacité à rassembler pourrait faire la différence. Mais dans un pays marqué par son histoire et ses divisions, rien n’est joué.
