Dans un salon parisien où les lustres scintillent et les miroirs reflètent l’élégance d’un autre temps, un écrivain a été célébré pour avoir redonné vie à une figure oubliée. Jean de Saint-Chéron, avec sa plume vibrante et audacieuse, a conquis le jury du Prix Roger Nimier 2025 pour sa biographie Malestroit, portrait saisissant de mère Yvonne-Aimée, religieuse bretonne et héroïne de la Résistance. Cette distinction, décernée lors d’une cérémonie empreinte de tradition et de renouveau, marque un moment clé dans le paysage littéraire français. Mais qui est cette femme au destin hors norme, et pourquoi son histoire résonne-t-elle autant aujourd’hui ?
Un Prix Littéraire d’Exception
Le Prix Roger Nimier, créé en 1963, célèbre depuis plus de six décennies une littérature audacieuse, marquée par une liberté d’esprit et une élégance stylistique. Cette récompense, qui porte le nom d’un écrivain emblématique des Hussards, n’est pas seulement une reconnaissance littéraire : elle incarne une vision de la vie, celle d’une jeunesse éternelle, d’une insolence créative et d’une quête de vérité. En 2025, le prix prend un nouveau souffle avec un jury rajeuni, composé de plumes talentueuses et de penseurs audacieux, prêts à perpétuer cet héritage.
Jean de Saint-Chéron, lauréat de cette 61e édition, a su captiver ce jury avec une œuvre qui transcende les genres. Sa biographie, publiée chez Grasset, ne se contente pas de raconter une vie : elle réinvente l’hagiographie, mêlant rigueur historique et souffle romanesque. Mais qu’est-ce qui rend Malestroit si singulier ? Plongeons dans l’histoire d’une femme qui, entre mysticisme et héroïsme, a marqué son époque.
Mère Yvonne-Aimée : Une Figure Méconnue
Yvonne-Aimée de Jésus, née Yvonne Beauvais en 1901, est une figure complexe, à la croisée de la spiritualité et de l’action. Religieuse augustine, elle a traversé la Seconde Guerre mondiale avec une bravoure qui lui a valu d’être décorée par le général de Gaulle en personne. Pourtant, son nom reste peu connu, éclipsé par l’Église, qui a jugé ses nombreux miracles – trop nombreux, peut-être – embarrassants. Jean de Saint-Chéron, dans Malestroit, redonne vie à cette femme hors du commun, dont le destin oscille entre l’extraordinaire et l’oubli.
Sa vie est un roman : elle prophétise la guerre, échappe à la Gestapo grâce à des ruses dignes des meilleurs récits d’aventure, et vit des expériences mystiques qui défient l’entendement. Imaginez une religieuse déguisant des parachutistes en nonnes pour les soustraire aux Allemands, ou apparaissant simultanément dans le métro parisien et dans une cellule de torture. Ces anecdotes, loin d’être des légendes, sont documentées et donnent à l’œuvre de Saint-Chéron une saveur unique.
« Tant de corps dans ce corps, tant d’âmes dans cette âme, tant de vies dans cette vie… »
Cette citation, tirée d’une critique élogieuse, résume la richesse du personnage. Yvonne-Aimée, surnommée « sœur Tempête » par ses contemporains, est à la fois une mystique visionnaire et une pragmatique organisatrice, fondatrice de la première fédération des monastères augustins. Son histoire, portée par la plume enlevée de Saint-Chéron, captive par sa capacité à mêler sacré et profane.
Une Biographie qui Réinvente le Genre
Ce qui distingue Malestroit, c’est son refus de se cantonner à une hagiographie classique. Jean de Saint-Chéron modernise le genre, insufflant à son récit une énergie romanesque et une ironie subtile. Loin des portraits figés des saints, il dépeint une héroïne bien ancrée dans son époque, avec ses contradictions et ses audaces. Le style, décrit comme d’une « grande tenue » par le jury, alterne entre des passages introspectifs et des scènes d’action dignes d’un film d’aventure.
L’auteur excelle à rendre palpable l’insolence spirituelle de son héroïne. Par exemple, les récits de bilocation – ces moments où Yvonne-Aimée semble être à deux endroits à la fois – sont racontés avec une légèreté qui n’enlève rien à leur mystère. Cette approche, à la fois respectueuse et audacieuse, fait écho à l’esprit de Roger Nimier, connu pour son style frondeur et sa liberté de ton.
Les moments clés de la vie d’Yvonne-Aimée :
- 1901 : Naissance d’Yvonne Beauvais à Cossé-en-Champagne.
- 1927 : Entrée chez les Augustines hospitalières de Malestroit.
- 1940-1945 : Engagement dans la Résistance, aide aux parachutistes alliés.
- 1946 : Décorée de la Croix de guerre et de la Légion d’honneur.
- 1951 : Décès à Malestroit, laissant un héritage spirituel controversé.
Un Héritage Littéraire et Spirituel
Le choix de Jean de Saint-Chéron comme lauréat ne doit rien au hasard. Son œuvre s’inscrit dans une lignée littéraire qui puise ses racines chez des auteurs comme Georges Bernanos, dont l’ombre plane sur Malestroit. Comme Bernanos, Saint-Chéron explore la tension entre le sacré et le profane, entre la foi et l’action. Cette filiation, soulignée par le jury, fait de l’auteur un « cousin » des Hussards, ce mouvement littéraire dont Roger Nimier fut une figure de proue.
Mais au-delà de la littérature, Malestroit pose une question essentielle : pourquoi une figure comme Yvonne-Aimée a-t-elle été oubliée ? L’Église, embarrassée par ses miracles – des fleurs jaillissant de sa bouche, des extases mystiques, des stigmates – a préféré clore son dossier de canonisation. La République, en revanche, l’a célébrée comme une héroïne. Cette dichotomie fascine Saint-Chéron, qui voit en elle une « sainte républicaine », une figure qui transcende les clivages.
« Les grandes figures de courage mettent souvent leur propre institution dans l’embarras. »
Jean de Saint-Chéron
Cette réflexion, tirée d’une déclaration de l’auteur, éclaire son projet. En racontant l’histoire d’Yvonne-Aimée, il ne se contente pas de réhabiliter une figure oubliée : il interroge notre rapport au sacré dans une époque marquée par le matérialisme. À une ère où la rationalité domine, Malestroit propose une bouffée de transcendance, une invitation à redécouvrir le mystère.
Un Jury en Quête de Renouveau
La victoire de Jean de Saint-Chéron s’inscrit dans un moment de renouveau pour le Prix Roger Nimier. Après un quart de siècle sous la présidence de Jean-Marie Rouart, le jury a été entièrement renouvelé en 2024, accueillant une nouvelle génération d’écrivains et de journalistes. Ce « sabordage audacieux », comme l’a qualifié un observateur, a permis au prix de retrouver une fraîcheur qui fait écho à l’esprit de Nimier, éternel adolescent de la littérature.
Composé de figures comme Eugénie Bastié, Thibault de Montaigu ou Louis-Henri de La Rochefoucauld (lauréat 2024), le jury incarne une diversité de sensibilités, unie par un amour de la littérature libre et incisive. Leur choix de Malestroit reflète leur volonté de récompenser des œuvres qui osent, qui surprennent, qui redéfinissent les genres. Comme l’a souligné un juré, l’ouvrage de Saint-Chéron séduit par son « style enlevé » et sa capacité à rendre moderne un sujet a priori désuet.
Lauréats récents du Prix Roger Nimier | Œuvre | Année |
---|---|---|
Jean de Saint-Chéron | Malestroit | 2025 |
Louis-Henri de La Rochefoucauld | Les Petits farceurs | 2024 |
Abel Quentin | Le voyant d’Etampes | 2022 |
Pourquoi Cette Œuvre Résone Aujourd’hui
À une époque marquée par le retour du spirituel, l’œuvre de Jean de Saint-Chéron arrive à point nommé. Les jeunes générations, moins attachées à un rationalisme rigide, semblent prêtes à embrasser des récits où le surnaturel côtoie l’histoire. Yvonne-Aimée, avec ses visions, ses miracles et son courage, incarne cette quête de sens dans un monde désenchanté. Son histoire, portée par une écriture vive et moderne, parle à ceux qui cherchent à concilier foi et action.
Le jury a salué l’audace stylistique de Saint-Chéron, qui parvient à rendre accessible une figure complexe sans la réduire à une caricature. En explorant les multiples facettes d’Yvonne-Aimée – la mystique, la résistante, la femme d’action – l’auteur propose une réflexion sur le courage et la transcendance. Cette œuvre, à la croisée de l’histoire et de la spiritualité, invite à repenser notre rapport au passé et à l’invisible.
Un Héritage à Redécouvrir
En couronnant Jean de Saint-Chéron, le Prix Roger Nimier 2025 ne se contente pas de récompenser un livre : il met en lumière une figure oubliée et un auteur qui ose défier les conventions. Malestroit est une invitation à redécouvrir Yvonne-Aimée, cette religieuse qui, par son courage et sa foi, a marqué son époque. Mais c’est aussi un plaidoyer pour une littérature vivante, audacieuse, capable de réconcilier le passé et le présent.
L’œuvre de Saint-Chéron, avec sa prose incisive et son souffle romanesque, s’inscrit dans une tradition littéraire qui refuse la tiédeur. Comme Roger Nimier, l’auteur célèbre la liberté, l’élégance et l’insolence. À travers Yvonne-Aimée, il nous rappelle que les héros, qu’ils soient mystiques ou résistants, ont encore beaucoup à nous apprendre.
Pourquoi lire Malestroit ?
- Une biographie qui modernise l’hagiographie avec audace.
- Un portrait vibrant d’une héroïne oubliée de la Résistance.
- Un style enlevé, mêlant histoire, spiritualité et aventure.
- Une réflexion sur le courage et la transcendance.
En refermant Malestroit, on ne peut s’empêcher de se demander : et si Yvonne-Aimée était plus qu’une figure du passé ? Et si son histoire, portée par la plume de Jean de Saint-Chéron, était un miroir tendu à notre époque en quête de sens ? Une chose est sûre : ce livre, couronné par le Prix Roger Nimier, est une pépite littéraire à découvrir sans tarder.