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Jawhar Ben Mbarek Suspend Sa Grève de la Faim Après 33 Jours

Après 33 jours sans manger ni presque boire, Jawhar Ben Mbarek annonce qu’il suspend sa grève de la faim. Une décision prise après des manifestations monstres… Mais que s’est-il vraiment passé derrière les barreaux et dans les rues de Tunis ?

Imaginez ne rien avaler pendant trente-trois jours. Pas une miette, presque pas une goutte d’eau. Votre corps qui vacille, votre cœur qui ralentit, mais votre conviction qui, elle, reste debout. C’est ce qu’a vécu Jawhar Ben Mbarek, figure majeure de l’opposition tunisienne, avant d’annoncer, ce lundi, la suspension de sa grève de la faim.

Un geste fort qui ébranle la Tunisie entière

À 57 ans, ce juriste respecté, spécialiste du droit constitutionnel, a décidé de mettre son corps en première ligne pour dénoncer ce qu’il qualifie d’acharnement judiciaire. Condamné en appel à 20 ans de prison dans le vaste procès dit du « complot contre la sûreté de l’État », il a choisi l’arme la plus radicale dont dispose un détenu : priver son propre organisme de tout aliment.

Sa famille, ses avocats, ses camarades de lutte le suppliaient d’arrêter. Huit hospitalisations en un peu plus d’un mois. Des pertes de connaissance. Des violences présumées en prison. Rien n’avait suffi à le faire plier… jusqu’à ces derniers jours.

Pourquoi maintenant ? La rue a parlé

Dans un message transmis via sa sœur, l’avocate Dalila Ben Mbarek Msaddek, et publié sur les réseaux sociaux, l’opposant explique sa décision avec une phrase lourde de sens :

« La rue démocratique vivante a prouvé sa capacité à défendre nos droits et à transmettre les souffrances des détenus politiques. »

Deux rassemblements ont tout changé. Le premier, il y a dix jours, a réuni environ 3 000 personnes dans les rues de la capitale. Le second, samedi dernier, plusieurs centaines de manifestants ont encore bravé la répression pour crier leur soutien aux prisonniers politiques. Ces images ont traversé les murs de la prison de Mornaguia.

Pour Jawhar Ben Mbarek, la mobilisation populaire a rempli son rôle : rappeler que le combat continue dehors. Suspendre la grève n’est pas une capitulation. C’est un relais.

Un procès hors norme aux peines hors normes

Revenons quelques jours en arrière. Vendredi soir, la cour d’appel confirme et aggrave la peine : 20 ans de réclusion au lieu de 18 en première instance. Dans le même dossier, d’autres figures de l’opposition écopent jusqu’à 45 ans de prison. Des chiffres qui donnent le vertige.

Co-fondateur du Front de salut national (FSN), principale coalition hostile au président Kais Saied, Jawhar Ben Mbarek est accusé d’avoir participé à un « complot contre la sûreté de l’État ». Des accusations que lui et ses co-prévenus n’ont cessé de dénoncer comme purement politiques.

Ce méga-procès a concerné une quarantaine de personnalités : responsables politiques, avocats, militants, journalistes. Un seul et même chef d’inculpation, des audiences à huis clos, des preuves souvent jugées fragiles par les observateurs indépendants.

Une grève de la faim « sauvage » aux conséquences dramatiques

Depuis le 29 octobre, Jawhar Ben Mbarek avait opté pour la forme la plus extrême de protestation : refus total de nourriture et absorption d’eau réduite au strict minimum. Ses proches parlent d’une grève « sauvage », sans aucun complément, sans suivi médical volontaire.

Les conséquences n’ont pas tardé. Huit transferts en urgence à l’hôpital. Des chutes de tension brutales. Un corps qui s’éteint doucement. Son père, Ezzeddine Hazgui – lui-même figure historique de la gauche tunisienne sous Bourguiba et Ben Ali – a vécu ces semaines dans l’angoisse permanente.

Des accusations de violences et de torture en détention

Début novembre, l’état de santé de l’opposant avait déjà franchisé un cap critique. Selon sa famille et son comité de défense, des gardiens et d’autres détenus l’auraient frappé violemment pour le forcer à s’alimenter. Il aurait perdu connaissance sous les coups.

Une plainte pour « actes de torture » a immédiatement été déposée. La direction générale des prisons a annoncé l’ouverture d’une enquête administrative, sans plus de détails à ce jour. Ces accusations, si elles étaient confirmées, viendraient s’ajouter à une longue liste de témoignages similaires depuis 2021.

Un parcours intellectuel au service de la démocratie

Avant de devenir l’une des voix les plus critiques du régime actuel, Jawhar Ben Mbarek a longtemps incarné l’espoir d’une Tunisie démocratique. Docteur en droit constitutionnel, il a conseillé plusieurs gouvernements après la révolution de 2011. Il a participé à la rédaction de la Constitution de 2014, souvent saluée comme l’une des plus progressistes du monde arabe.

Son engagement n’est pas nouveau. Il a toujours défendu l’État de droit, la séparation des pouvoirs, la liberté d’expression. Des valeurs qu’il estime aujourd’hui bafouées.

Le décret-loi 54, épée de Damoclès sur la liberté d’expression

Au-delà du dossier « complot », Jawhar Ben Mbarek fait l’objet de plusieurs autres poursuites. Le motif ? Le fameux décret-loi 54 promulgué en septembre 2022 par le président Kais Saied, qui punit la diffusion de « fausses informations » pouvant « porter atteinte à la sécurité publique ».

Ce texte est devenu l’outil privilégié pour faire taire toute critique. Journalistes, blogueurs, simples citoyens : des centaines de procédures ont été lancées en trois ans. Les organisations de défense des droits humains parlent d’une dérive autoritaire claire.

Quatre années de recul démocratique

Tout a bascul merchée le 25 juillet 2021. Ce soir-là, Kais Saied active l’article 80 de la Constitution, suspend le Parlement, limoge le gouvernement et s’octroie les pleins pouvoirs. Ce que beaucoup appellent un coup de force institutionnel.

Depuis, les rapports des ONG tunisiennes et internationales se succèdent : arrestations arbitraires, procès politiques, censure, pressions sur la justice et les médias. La Tunisie, qui fut le seul succès durable du Printemps arabe, semble revenir des années en arrière.

Les chiffres sont éloquents. Plus de soixante personnalités – politiques, magistrats, journalistes – sont actuellement poursuivies ou emprisonnées pour leurs opinions. Des peines qui atteignent parfois des records dans l’histoire judiciaire récente du pays.

Et maintenant ?

La suspension de la grève de la faim de Jawhar Ben Mbarek n’efface rien. Ni la condamnation à 20 ans. Ni les autres dossiers en attente. Ni la mobilisation qui devra continuer.

Mais elle marque un tournant. Un message clair envoyé au pouvoir : la résistance ne s’arrête pas aux portes des prisons. Elle vit dans la rue, sur les réseaux, dans le cœur de milliers de Tunisiens qui refusent de voir leur révolution de 2011 enterrée.

En suspendant son sacrifice, Jawhar Ben Mbarek a peut-être sauvé sa vie. Mais il a surtout rappelé que la lutte, elle, ne s’arrêtera jamais.

À retenir :

  • 33 jours de grève de la faim totale
  • Condamnation à 20 ans de prison confirmée en appel
  • 8 hospitalisations d’urgence
  • Manifestations de soutien à Tunis (3 000 puis plusieurs centaines de personnes)
  • Accusations de violences et de torture en prison
  • Suspension décidée après mobilisation populaire

L’histoire de Jawhar Ben Mbarek n’est pas terminée. Elle est devenue, malgré lui, le symbole d’une Tunisie qui refuse de se taire.

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