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Japon : Trop Peu de Toilettes pour les Députées

Au Japon, 73 députées se partagent seulement deux cabines de toilettes près de la salle plénière. Même la Première ministre Sanae Takaichi a signé la pétition pour en demander davantage. Ce détail quotidien révèle un retard plus profond dans l’égalité des genres...

Imaginez arriver au travail, pressée par une longue journée de débats intenses, et découvrir que vous devez faire la queue pendant de longues minutes pour accéder aux toilettes. Cela semble banal ? Pourtant, pour des dizaines de députées japonaises, c’est le quotidien au cœur même de la démocratie nippone.

Un symbole concret d’un retard persistant

Dans le bâtiment emblématique de la Diète nationale, achevé en 1936, les infrastructures n’ont pas suivi le rythme de la société. À proximité de la salle des séances plénières de la chambre basse, un seul espace sanitaire féminin offre deux cabines individuelles. Elles doivent pourtant suffire à 73 élues.

Cette situation a poussé près de 60 députées, issues de tous les horizons politiques, à s’unir. Elles ont rédigé et signé une pétition exigeant l’augmentation du nombre de toilettes pour femmes près de cette salle cruciale. Un geste rare qui transcende les clivages partisans.

Une pétition transpartisane inédite

Parmi les signataires figure un nom qui attire particulièrement l’attention : celui de Sanae Takaichi. Conservatrice affirmée, elle est devenue en novembre la première femme à occuper le poste de Première ministre du Japon. Sa signature aux côtés d’élues de l’opposition illustre la gravité pratique du problème.

La pétition a été remise officiellement au président de la commission chargée du règlement et de l’administration de la chambre basse. Cinquante-huit députées l’ont paraphée, démontrant une solidarité remarquable sur une question aussi concrète que symbolique.

« Avant le début des séances plénières, énormément de députées doivent faire de longues files devant les toilettes »

Yasuko Komiyama, députée du Parti démocrate constitutionnel

Cette phrase résume l’absurdité de la situation. Des femmes élues pour représenter la nation se retrouvent contraintes par un manque d’infrastructures élémentaires.

Un bâtiment conçu dans une autre époque

Le Parlement japonais actuel a été inauguré bien avant que les femmes n’aient le droit de vote. C’était en 1936, près d’une décennie avant décembre 1945, date à laquelle le suffrage féminin a été instauré au Japon, quelques mois après la fin de la Seconde Guerre mondiale.

À l’époque, la présence féminine dans les couloirs du pouvoir était inimaginable. Les plans initiaux reflètent donc cette réalité historique : les espaces sanitaires masculins dominent largement.

Aujourd’hui encore, la chambre basse compte 12 espaces toilettes pour hommes offrant 67 cabines individuelles. En face, seulement neuf espaces pour femmes, avec un total de 22 cabines. Le déséquilibre reste frappant.

Comparaison des installations sanitaires à la chambre basse :

  • Espaces toilettes hommes : 12 (67 cabines)
  • Espaces toilettes femmes : 9 (22 cabines)
  • Cabines près de la salle plénière pour femmes : 2
  • Nombre d’élues concernées : 73

Une féminisation progressive mais encore timide

Le paysage politique japonais évolue lentement. Lors des élections législatives de 2021, seulement 45 femmes avaient été élues à la chambre basse. Trois ans plus tard, après le scrutin de 2024, ce chiffre a grimpé à 72 sur un total de 465 députés.

Cela représente environ 15 % des sièges. Un progrès notable, mais encore loin des standards de nombreux pays développés. À la chambre haute, 74 des 248 membres sont des femmes.

Le gouvernement japonais s’est fixé pour objectif que les femmes occupent au moins 30 % des sièges législatifs. Cet horizon reste distant, malgré les avancées récentes.

Des promesses ambitieuses non tenues

L’arrivée de Sanae Takaichi à la tête du gouvernement avait suscité de grands espoirs. Issue de l’aile conservatrice du parti dominant, elle avait promis un exécutif paritaire, évoquant même une proportion « scandinave » de femmes ministres.

La réalité s’est révélée plus modeste. Sur 19 ministres nommés, seules deux sont des femmes. Cette décision a déçu celles et ceux qui attendaient un signal fort en faveur de la parité.

Ce contraste entre discours et actes alimente les critiques sur la lenteur des transformations au sommet de l’État.

Le Japon loin dans les classements mondiaux

Chaque année, le Forum économique mondial publie son rapport sur l’écart entre les genres. En 2025, le Japon se classe 118e sur 148 pays analysés. Un rang qui reflète des disparités persistantes dans plusieurs domaines : politique, économie, éducation, santé.

La représentation politique féminine constitue l’un des points les plus faibles. Ce classement agit comme un rappel régulier des efforts encore nécessaires.

Un signe de progrès paradoxal

La demande croissante de toilettes pour femmes peut sembler anecdotique. Pourtant, elle incarne à la fois un progrès et ses limites. Plus il y a de députées, plus les infrastructures inadaptées deviennent visibles.

Comme l’a souligné Yasuko Komiyama, ce besoin traduit une avancée réelle dans la présence féminine au Parlement. Mais il met aussi en lumière l’échec plus large à atteindre une véritable égalité des genres.

Les files d’attente devant les toilettes deviennent ainsi un miroir des obstacles structurels que rencontrent encore les femmes dans la sphère publique japonaise.

Vers des changements concrets ?

La pétition déposée représente une première étape. Reste à voir si les responsables de l’administration parlementaire agiront rapidement. Modifier un bâtiment historique n’est jamais simple, mais l’urgence pratique semble évidente.

Au-delà des toilettes, cette mobilisation pourrait inspirer d’autres revendications pour adapter les institutions aux réalités contemporaines. Car rendre le Parlement plus accueillant pour les femmes, c’est aussi encourager leur participation future.

Le Japon, société en profonde mutation démographique et sociale, a tout intérêt à accélérer ces transformations. La présence accrue des femmes dans les instances de décision constitue un levier essentiel pour répondre aux défis du pays.

Cette histoire de toilettes, aussi prosaïque soit-elle, raconte finalement une part importante de l’évolution politique nippone. Elle illustre les petits pas quotidiens qui accompagnent les grandes ambitions d’égalité.

Et qui sait, peut-être que dans quelques années, on regardera cette pétition comme le début d’une modernisation plus profonde des institutions japonaises.

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