Imaginez un Japon où les billets de yen, si familiers, disparaissent des portefeuilles. À la place, des transactions instantanées via smartphone, des cryptomonnaies échangées en un clic, et peut-être même une monnaie digitale émise par la banque centrale. Ce scénario, autrefois digne d’un roman de science-fiction, prend forme dans l’archipel. La question qui agite les esprits : les cryptomonnaies pourraient-elles devenir la clé d’une économie sans cash ?
Le pays du soleil levant, longtemps attaché à l’argent liquide, opère une mue spectaculaire. En 2024, 42,8 % des transactions étaient déjà sans cash, un bond impressionnant par rapport aux 13 % de 2010. Ce virage, porté par la jeune génération et les technologies mobiles, pousse la Banque du Japon (BOJ) à explorer des solutions radicales. Parmi elles, la cryptomonnaie et une potentielle monnaie numérique de banque centrale (CBDC) se disputent l’avenir.
Un Japon sans billets : une révolution en marche
Le Japon n’a jamais été un pionnier des paiements numériques. Pendant des décennies, les billets et pièces dominaient, même pour les petites transactions. Mais les habitudes changent. Les applications de paiement par QR code, comme PayPay ou Rakuten Pay, gagnent du terrain, et les jeunes consommateurs délaissent peu à peu les portefeuilles traditionnels.
Ce basculement n’est pas anodin. Derrière cette transition se profile une ambition nationale : atteindre une économie sans cash. Le gouvernement, conscient des avantages d’une digitalisation accrue – réduction des coûts de gestion, traçabilité des transactions, lutte contre la fraude – a fixé des objectifs clairs. Dès 2024, le seuil de 40 % de paiements sans cash a été dépassé, avec un an d’avance.
« L’utilisation des billets pourrait chuter de manière significative à l’avenir face à une digitalisation rapide. »
Kazushige Kamiyama, Directeur exécutif de la BOJ
La cryptomonnaie : une alternative crédible ?
Si la BOJ reste prudente, elle ne ferme pas la porte aux cryptomonnaies. Lors d’une récente allocution, un haut responsable a évoqué un scénario audacieux : et si le yen perdait la confiance du public ? Dans ce cas, les cryptomonnaies ou les stablecoins pourraient combler le vide. Une telle hypothèse, impensable il y a quelques années, reflète l’évolution des mentalités au sein des cercles financiers.
Les cryptomonnaies ne sont plus un sujet de niche au Japon. En décembre 2024, plus de sept millions de comptes crypto étaient actifs, contre cinq millions en début d’année. Bitcoin et Ethereum dominent, mais les stablecoins, ces monnaies numériques adossées à des actifs comme le yen ou le dollar, séduisent pour les transactions transfrontalières.
Fait marquant : Les stablecoins gagnent en popularité pour les envois de fonds à l’étranger, offrant des frais réduits et une rapidité inégalée par les banques traditionnelles.
Le rôle pivot de la régulation
Le Japon est connu pour ses règles strictes en matière de cryptomonnaies. Depuis 2017, les échanges doivent obtenir une licence, et les utilisateurs sont soumis à des contrôles rigoureux. Mais récemment, les autorités ont assoupli leur approche, notamment pour les stablecoins. Cette flexibilité vise à intégrer ces actifs dans l’infrastructure des paiements, tout en garantissant sécurité et transparence.
Pourquoi ce changement ? Les régulateurs japonais veulent éviter de se laisser distancer. À l’échelle mondiale, la course aux monnaies numériques s’intensifie. L’Europe avance sur son euro numérique, tandis que les États-Unis, malgré des freins politiques, explorent des stablecoins privés. Le Japon, lui, cherche un équilibre : encourager l’innovation sans compromettre la stabilité financière.
La CBDC : une réponse centralisée
Face à la montée des cryptomonnaies, la BOJ mise sur sa propre solution : une monnaie numérique de banque centrale. Lancé en 2023, son programme pilote mobilise des géants bancaires comme MUFG ou Mizuho, ainsi que des fintechs. L’objectif ? Créer un yen numérique qui combine la fiabilité du cash avec la commodité des paiements électroniques.
Pour Shinichi Uchida, vice-gouverneur de la BOJ, la CBDC est une « infrastructure cruciale » pour maintenir la confiance dans le yen. Mais il insiste : le cash ne disparaîtra pas de sitôt. Cette prudence reflète la réalité japonaise, où les billets restent prisés, notamment dans les zones rurales.
Avantages CBDC | Avantages Cryptomonnaies |
---|---|
Stabilité garantie par la BOJ | Décentralisation et innovation |
Intégration facile dans les systèmes bancaires | Transactions rapides et peu coûteuses |
Confiance publique élevée | Accessibilité mondiale |
Les défis d’une transition numérique
Passer à une économie sans cash soulève des questions complexes. D’abord, l’inclusion financière. Dans un pays où les personnes âgées dépendent encore largement du liquide, comment garantir que personne ne soit laissé pour compte ? Ensuite, la cybersécurité. Les piratages d’échanges crypto, bien que rares au Japon, rappellent les risques d’un système entièrement numérique.
Enfin, il y a la question de la souveraineté monétaire. Si les cryptomonnaies ou les stablecoins privés prenaient le dessus, la BOJ pourrait perdre le contrôle de sa politique monétaire. Un scénario que les autorités veulent éviter à tout prix.
- Inclusion : Développer des solutions simples pour les non-initiés au numérique.
- Sécurité : Renforcer les protocoles contre les cyberattaques.
- Éducation : Sensibiliser le public aux avantages et risques des monnaies digitales.
Un regard vers l’avenir
Le Japon se trouve à un carrefour. D’un côté, la tradition et la prudence, incarnées par le yen et la BOJ. De l’autre, l’innovation et la disruption, portées par les cryptomonnaies et les technologies blockchain. Quel chemin l’archipel choisira-t-il ?
Pour l’instant, la BOJ avance avec méthode. La CBDC reste au cœur de sa stratégie, mais elle n’exclut pas un rôle pour les cryptomonnaies. Cette ouverture, rare pour une banque centrale, témoigne d’un pragmatisme face à un monde en mutation.
« Dans une société numérisée, rien ne garantit qu’une monnaie émise par une banque centrale restera un moyen de paiement universel. »
Shinichi Uchida, Vice-gouverneur de la BOJ
Le Japon, avec son mélange unique de tradition et de modernité, pourrait bien devenir un laboratoire mondial pour les monnaies numériques. Si les cryptomonnaies s’imposent, elles pourraient redéfinir non seulement l’économie japonaise, mais aussi la manière dont le monde perçoit l’argent.
Une chose est sûre : le chemin vers une économie sans cash est semé d’opportunités et de défis. Et au cœur de cette transformation, une question persiste : le yen, symbole d’un Japon séculaire, cédera-t-il la place à une monnaie digitale ? L’avenir nous le dira.