Au Japon, un vent de tempête souffle sur la scène politique. Shigeru Ishiba, Premier ministre depuis seulement dix mois, voit son avenir s’assombrir. Une cuisante défaite électorale lors du scrutin pour la chambre haute du Parlement, couplée à une popularité en chute libre, place cet homme, autrefois perçu comme un outsider charismatique, dans une position des plus précaires. Comment un stratège passionné par les questions de défense et les trains en est-il arrivé là ? Cet article plonge dans les raisons de cette crise et explore les défis qui attendent Ishiba.
Un Outsider au Sommet : L’Ascension d’Ishiba
Shigeru Ishiba, âgé de 68 ans, n’est pas un novice en politique. Fils d’un gouverneur régional et membre de la petite communauté chrétienne japonaise, il a gravi les échelons du Parti libéral-démocrate (PLD), une formation dominante depuis les années 1950. En septembre 2024, après quatre tentatives infructueuses, il prend enfin la tête du parti, devenant ainsi Premier ministre. Sa réputation de spécialiste des questions militaires et son style atypique – amateur de trains, de cigarettes et de pop des années 1970 – séduisent alors une partie du public.
Mais son arrivée au pouvoir coïncide avec une période tumultueuse. Dès octobre, Ishiba convoque des élections anticipées pour consolider son autorité. Une décision risquée qui se retourne contre lui : son parti et son allié, le Komeito, perdent la majorité absolue à la chambre basse. Ce revers, le pire en 15 ans pour le PLD, oblige le gouvernement à négocier avec l’opposition, entravant ses ambitions législatives.
Une Popularité en Chute Libre
Le charme initial d’Ishiba s’est vite estompé. Un sondage réalisé en juin 2025 par la télévision publique japonaise révèle que seulement 39 % des citoyens soutiennent son gouvernement. Cette impopularité s’explique par plusieurs facteurs :
- Inflation galopante : Les prix, notamment celui du riz qui a doublé, pèsent lourdement sur les ménages japonais.
- Mesures timides : Les aides financières proposées par Ishiba pour contrer l’inflation sont jugées insuffisantes et tardives.
- Revers électoral : La perte de la majorité à la chambre haute en juillet 2025 fragilise encore davantage son leadership.
Stefan Angrick, analyste chez Moody’s Analytics, résume la situation :
Les politiques du gouvernement pour contrer l’inflation et stimuler la croissance ont connu des va-et-vient, manquant de cohérence.
Stefan Angrick, Moody’s Analytics
Face à ces critiques, Ishiba reste évasif. Après la débâcle électorale, il déclare simplement : « Je me montrerai conscient de ma responsabilité. » Une réponse qui alimente les spéculations sur une possible démission.
Des Faux-Pas Qui Marquent
Bien au-delà des chiffres, l’image publique d’Ishiba a souffert de plusieurs maladresses. Lors d’une cérémonie officielle, son costume mal ajusté fait jaser. Une sieste en pleine séance parlementaire devient virale. Pire encore, une vidéo le montrant dévorer une onigiri (boulette de riz traditionnelle) d’une seule bouchée, sans élégance, déclenche une vague de moqueries sur les réseaux sociaux.
« Il mange comme un enfant de trois ans », s’amuse un internaute. « Comment a-t-il pu devenir Premier ministre avec de telles manières ? », s’interroge un autre.
Ces incidents, bien que triviaux en apparence, ternissent son image de leader sérieux. Ils contrastent avec l’aura de Shinzo Abe, ancien Premier ministre, dont le charisme et la proximité avec des figures internationales comme Donald Trump avaient marqué les esprits.
Une Diplomatie Sous Pression
Sur la scène internationale, Ishiba fait face à un défi de taille : les négociations commerciales avec les États-Unis. Sous la présidence de Donald Trump, le Japon subit des droits de douane de 10 % sur ses exportations, avec des surtaxes de 25 % sur les voitures et 50 % sur l’acier. Une menace de relèvement à 25 % des taxes générales plane pour août 2025.
Ishiba a multiplié les efforts pour obtenir un compromis. Depuis avril, son négociateur, Ryosei Akazawa, s’est rendu sept fois à Washington. Mais sa stratégie, qui vise l’élimination totale des droits de douane, semble irréaliste face à l’inflexibilité de Trump. À l’inverse, Shinzo Abe, lors du premier mandat de Trump, avait su tisser une relation personnelle avec le président américain, obtenant des concessions grâce à des gestes symboliques, comme l’offre d’un club de golf doré.
Il n’y en aura jamais un autre comme lui.
Donald Trump, à propos de Shinzo Abe, après son assassinat en 2022
Ce contraste met en lumière les difficultés d’Ishiba à s’imposer comme un leader diplomatique de premier plan. Ses échecs dans ce domaine alimentent les critiques sur son incapacité à protéger les intérêts économiques du Japon.
Un Projet pour le Japon ?
Lors de son arrivée au pouvoir, Ishiba promettait de « créer un nouveau Japon ». Parmi ses priorités : revitaliser les régions rurales et répondre au déclin démographique, qu’il qualifiait d’« urgence silencieuse ». Mais ses ambitions se heurtent à des obstacles structurels. Le Japon, confronté à une population vieillissante, voit sa main-d’œuvre diminuer, un problème que les mesures d’Ishiba peinent à résoudre.
En outre, sa décision de nommer seulement deux femmes dans son cabinet, contre cinq sous son prédécesseur Fumio Kishida, a suscité des critiques. Dans un pays où l’égalité des genres reste un défi, ce choix est perçu comme un recul. Voici un aperçu des principales promesses d’Ishiba :
Objectif | Réalisation |
---|---|
Revitalisation des régions rurales | Mesures limitées, impact faible |
Lutte contre le déclin démographique | Propositions vagues, résultats inexistants |
Relance économique | Aides financières jugées insuffisantes |
Ce bilan mitigé, combiné à ses déboires électoraux, place Ishiba dans une position délicate. La question qui se pose désormais est simple : pourra-t-il redresser la barre, ou son passage au pouvoir sera-t-il de courte durée ?
Quel Avenir pour Ishiba ?
La débâcle électorale de juillet 2025 a ravivé les spéculations sur une possible démission. Si Ishiba reste en poste, il devra naviguer dans un Parlement fragmenté, où chaque décision nécessitera des compromis avec l’opposition. Cette situation limite sa marge de manœuvre pour mettre en œuvre des réformes ambitieuses.
Sur le plan international, les négociations avec les États-Unis resteront un défi majeur. Avec une économie japonaise sous pression et des relations diplomatiques tendues, Ishiba devra faire preuve d’une habileté politique qu’il n’a pas encore démontrée. Certains observateurs estiment qu’un remaniement de son cabinet ou une nouvelle stratégie diplomatique pourraient lui offrir une bouffée d’oxygène.
En attendant, l’image d’Ishiba reste celle d’un homme passionné mais maladroit, dont les ambitions se heurtent à une réalité complexe. Son amour pour les trains, bien que touchant, ne suffit pas à apaiser les critiques. Comme le dit un proverbe japonais : « Même le plus beau cerisier ploie sous le poids de la tempête. » Ishiba saura-t-il résister à la bourrasque ?
Le Japon retient son souffle, observant si Shigeru Ishiba parviendra à redresser la barre ou si son mandat s’achèvera dans la tourmente.
Alors que le pays fait face à des défis économiques, démographiques et diplomatiques, l’avenir d’Ishiba semble incertain. Une chose est sûre : les mois à venir seront décisifs pour déterminer s’il restera dans l’histoire comme un réformateur audacieux ou comme un Premier ministre éphémère.