La politique migratoire de l’Italie fait débat au sein même de son système judiciaire. Plusieurs magistrats contestent la nouvelle approche du gouvernement de Giorgia Meloni visant à faciliter l’expulsion des migrants en provenance de pays jugés “sûrs”. Ils estiment que ce critère de sécurité ne peut pas s’appliquer de manière uniforme à toute une population.
Des juges en désaccord avec le gouvernement sur le renvoi des migrants
Le tribunal de Bologne a saisi la semaine dernière la Cour de justice de l’Union européenne pour qu’elle se prononce sur les récentes modifications législatives impulsées par l’exécutif italien. D’après un document consulté par l’AFP, ces changements suscitent des “conflits d’interprétation” au sein de l’appareil judiciaire transalpin.
Le gouvernement d’extrême droite cherche en effet un moyen de contourner l’opposition des juges à son accord migratoire conclu avec l’Albanie. Début octobre, les premiers migrants envoyés dans des centres gérés par l’Italie en territoire albanais pour l’examen de leur dossier ont été rapatriés, les magistrats romains ayant refusé de valider leur détention.
Une interprétation divergente du droit européen
Pour motiver leur décision, les juges de Rome disent s’appuyer sur un arrêt de la Cour européenne de justice. Celui-ci stipule que les pays dits “sûrs” doivent l’être dans leur intégralité. Or l’Italie a établi une liste d’États sûrs assortie d’exceptions, notamment pour certaines catégories comme les personnes LGBT+ qui peuvent y être persécutées.
Face à ce blocage, le gouvernement a promptement fait amender la loi en supprimant ces précisions. Mais les magistrats bolonais, confrontés à des “divergences évidentes” et à des “conflits d’interprétation” dans le droit italien, ont à leur tour décidé de saisir la justice européenne pour éclaircir la situation.
Des pays “sûrs” pour la majorité mais pas pour les minorités ?
Plus fondamentalement, les juges de Bologne remettent en cause la possibilité même de déclarer des pays entiers comme étant sûrs dès lors qu’il existe des preuves de persécutions visant des minorités. Ils rappellent que le droit d’asile vise justement à protéger les groupes vulnérables exposés à des risques, que les agents persécuteurs soient étatiques ou non.
On pourrait dire, paradoxalement, que l’Allemagne nazie était un pays extrêmement sûr pour la grande majorité de la population allemande : à l’exception des juifs, des homosexuels, des opposants politiques, des personnes d’origine rom et d’autres groupes minoritaires, plus de soixante millions d’Allemands jouissaient d’un niveau de sécurité enviable.
La même chose pourrait être dite de l’Italie sous le régime fasciste.
Cette comparaison frappante souligne les limites d’une approche trop généralisatrice dans la qualification des pays sûrs. Elle met en lumière les risques d’une politique migratoire qui ne tiendrait pas suffisamment compte des besoins spécifiques de protection des minorités persécutées.
L’Italie en première ligne sur la question migratoire
Ces débats interviennent alors que l’Italie est confrontée de longue date à d’importants flux migratoires en Méditerranée. La coalition menée par Giorgia Meloni a été élue en 2022 en promettant notamment de mettre un terme à cette situation.
Mais ses tentatives pour entraver l’action des ONG portant secours aux migrants se heurtent régulièrement à l’opposition de la justice italienne. Cette dernière apparaît comme un contrepoids face à une approche jugée trop sécuritaire et pas assez respectueuse du droit international.
Les récentes décisions des tribunaux de Rome et de Bologne illustrent ces tensions. Elles soulèvent des questions cruciales sur la manière de concilier maîtrise des flux migratoires et respect du droit d’asile. Un équilibre délicat que l’Italie, comme l’Europe dans son ensemble, peine encore à trouver.