Imaginez un pays où la radio que vous écoutez chaque matin depuis des décennies disparaît du jour au lendemain sur décision d’un ministre. Où une chaîne étrangère peut être éteinte sans passer par un juge. Où l’État met la main, sans détour, sur la télévision et la radio publiques. Ce n’est pas une dystopie lointaine : c’est ce qui se prépare aujourd’hui en Israël.
Une offensive tous azimuts contre les médias
À l’approche des législatives prévues au plus tard en novembre 2026, la coalition au pouvoir multiplie les initiatives qui inquiètent profondément les défenseurs de la liberté d’expression. Trois dossiers brûlants occupent actuellement le devant de la scène et provoquent une mobilisation inédite des journalistes, des syndicats et même d’une partie de la société civile.
La réforme de l’audiovisuel public : un contrôle renforcé
Le ministre des Communications, Shlomo Karhi, porte un projet qui vise à remodeler totalement la gouvernance de la corporation publique KAN. Derrière les arguments officiels – « encourager la concurrence » et « réduire la bureaucratie » – se cache la création d’une nouvelle autorité capable de nommer et de révoquer plus facilement les responsables éditoriaux.
La conseillère juridique du gouvernement elle-même, Gali Baharav-Miara, pourtant nommée par l’actuelle majorité, a émis un avis très critique. Selon elle, ce texte « met en danger le principe même de la liberté de la presse ». Un avis d’autant plus lourd de sens que cette haute fonctionnaire fait parallèlement l’objet d’une procédure de destitution lancée par le gouvernement.
« Ce n’est pas une réforme. C’est une campagne d’incitation à la haine et de bâillonnement de la presse libre »
Yaïr Lapid, chef de l’opposition
Le syndicat des journalistes a immédiatement saisi la Cour suprême. L’organisation Reporters sans frontières a qualifie quant à elle ce projet de « clou dans le cercueil de l’indépendance des rédactions ».
Interdire une chaîne étrangère sans état de guerre : le cas Al Jazeera
En avril 2024, la Knesset avait voté une loi permettant de fermer temporairement la chaîne qatarie Al Jazeera en invoquant l’état de guerre. Un nouvel amendement, porté par le député Ariel Kelner (Likoud), veut aller beaucoup plus loin : il suffirait désormais qu’un ministre estime une chaîne étrangère « hostile » pour la faire taire, même en temps de paix.
La conseillère juridique du gouvernement s’oppose également à ce texte, estimant qu’il outrepasse largement les pouvoirs exécutifs et qu’une décision de justice devrait rester obligatoire.
Le député Kelner justifie pourtant son initiative sans détour :
« La chaîne de production du terrorisme commence dans les esprits, et en particulier dans les médias, qui publient des informations confidentielles et empoisonnent les cœurs par la haine et la propagande antisémite »
Le texte a déjà passé l’épreuve de la première lecture et poursuit son chemin législatif.
La fin annoncée de Galei Tsahal, la radio militaire historique
Fondée en 1950, Galei Tsahal est bien plus qu’une radio de l’armée : c’est une institution écoutée par des millions d’Israéliens pour ses journaux d’information et ses débats. Avec 17,7 % d’audience, elle arrive en troisième position nationale, juste derrière KAN et devant de nombreuses radios privées.
Le ministre de la Défense, Israël Katz, a pourtant annoncé sa fermeture définitive pour mars 2026. La station musicale Galgalatz, également gérée par l’armée, n’est curieusement pas concernée.
L’Institut israélien pour la démocratie, think-tank généralement classé au centre, juge cette décision « contraire aux principes fondamentaux de l’État de droit » et portant « atteinte à la liberté de la presse ».
À retenir :
- Trois projets distincts mais convergents vers un même objectif : plus de contrôle politique sur l’information
- Tous ont reçu l’avis défavorable de la conseillère juridique du gouvernement
- Tous avancent malgré les critiques internes et internationales
L’accès indépendant à Gaza toujours bloqué
Plus de deux ans après le début de la guerre, aucun journaliste étranger ne peut pénétrer dans la bande de Gaza sans être accompagné par l’armée israélienne. L’Association de la presse étrangère, dont l’AFP fait partie, a saisi la Cour suprême à plusieurs reprises.
Le 9 décembre, les juges ont une nouvelle fois accordé un délai supplémentaire au gouvernement pour justifier cette interdiction. La FPA dénonce une situation « plus qu’absurde » qui prive le monde d’images et de témoignages indépendants.
Cette opacité alimente les craintes d’une volonté plus large de limiter la circulation de l’information, même lorsqu’elle provient de sources internationales reconnues.
Un contexte politique explosif
Ces initiatives arrivent dans un climat déjà très tendu. Les sondages montrent qu’une large majorité d’Israéliens souhaite que Benjamin Netanyahu rende des comptes sur la gestion de l’attaque du 7 octobre 2023 et de la guerre qui a suivi.
Avant même le conflit, le projet de réforme judiciaire avait fracturé le pays pendant des mois, avec des centaines de milliers de manifestants dans les rues, inquiets d’une dérive autoritaire.
Aujourd’hui, les mêmes voix s’élèvent pour dénoncer une tentative de museler les contre-pouvoirs médiatiques à l’approche d’une campagne électorale décisive.
Car contrôler l’information, c’est aussi contrôler le récit national à un moment où celui-ci est plus disputé que jamais.
La liberté de la presse n’est pas un luxe démocratique. C’est le système immunitaire d’une société libre. Lorsqu’on l’affaiblit, tout le corps politique devient vulnérable.
Les prochains mois diront si la capacité de la société israélienne et de ses institutions à résister à cette offensive. La Cour suprême, déjà saisie sur plusieurs fronts, jouera sans doute un rôle déterminant. Mais le temps presse : certains projets pourraient être votés bien avant les élections.
Une chose est sûre : rarement la liberté d’informer aura été aussi directement menacée dans un pays qui se présente comme la seule démocratie du Moyen-Orient.









