Imaginez vivre à quelques kilomètres seulement d’une frontière où chaque sirène peut annoncer la fin d’une trêve fragile. Depuis plusieurs semaines, le nord d’Israël et le sud du Liban retiennent leur souffle. Et mercredi, le ministre israélien de la Défense a jeté un pavé dans la mare : il n’y aura « pas de calme » au Liban tant que la sécurité de son pays ne sera pas totalement garantie.
Un ultimatum sans détour face au Parlement
Devant les députés israéliens, Israël Katz n’a pas mâché ses mots. « Nous ne permettrons aucune menace contre les habitants du nord », a-t-il martelé. La pression militaire, déjà intense, va encore s’accentuer. Preuve de cette détermination : l’élimination ciblée, dimanche dernier à Beyrouth, du chef militaire du Hezbollah.
Cette opération, menée en plein cœur de la capitale libanaise, a envoyé un message clair. Israël est prêt à frapper partout, tout le temps, tant que le Hezbollah conservera la moindre capacité offensive.
« Il n’y aura pas de calme à Beyrouth ni d’ordre et de stabilité au Liban tant que la sécurité de l’État d’Israël ne sera pas garantie »
Israël Katz, ministre israélien de la Défense
Le cessez-le-feu existe-t-il encore vraiment ?
Officiellement, oui. Un accord a été conclu il y a plusieurs semaines. Mais sur le terrain, la réalité est toute autre. Les frappes israéliennes se poursuivent presque quotidiennement. L’État hébreu affirme cibler uniquement des infrastructures et des membres du Hezbollah qui tenteraient de se réarmer. Le mouvement chiite, lui, nie toute violation.
Cette guerre de l’ombre met en lumière la fragilité extrême de la trêve. Chaque incident, chaque drone abattu, chaque explosion ravive la peur d’un embrasement généralisé.
L’impossible mission de l’armée libanaise
Au cœur de l’accord figure une obligation majeure : l’armée libanaise doit démanteler toute présence militaire du Hezbollah au sud du fleuve Litani, soit sur une bande d’environ trente kilomètres le long de la frontière.
Un plan a bien été soumis par l’état-major libanais au gouvernement. Il prévoit une mise en œuvre progressive. Mais entre les mots et les actes, le fossé est immense. Les États-Unis et Israël accusent Beyrouth de traîner des pieds. Et pour cause : le Hezbollah s’oppose fermement à toute mesure qui le désarmerait dans cette zone.
Le mouvement chiite brandit un argument de poids : Israël maintient toujours cinq positions dans le sud du Liban. Or l’accord de cessez-le-feu prévoyait explicitement le retrait total des troupes israéliennes. Tant que ce point ne sera pas respecté, le Hezbollah refuse de céder le moindre pouce de terrain.
Les cinq points de discorde toujours occupés par Israël selon le Hezbollah :
- Les fermes de Chebaa
- Les collines de Kfarchouba
- La partie nord du village de Ghajar
- Plusieurs points d’observation stratégiques
- Des zones contestées le long de la Ligne bleue
L’Égypte tente une médiation de la dernière chance
Face à cette impasse, le Caire a dépêché son ministre des Affaires étrangères, Badr Abdel Ati, à Beyrouth. Mercredi, après avoir rencontré le président de la République libanaise Joseph Aoun, il a réaffirmé l’engagement égyptien pour éviter l’escalade.
« Nous craignons toute escalade et nous sommes inquiets pour la sécurité et la stabilité du Liban », a-t-il déclaré. L’Égypte, qui entretient des relations à la fois avec Israël et avec les pays arabes, joue un rôle de pompier régional depuis des années.
Mais les efforts diplomatiques semblent pour l’instant se heurter à un mur. Chaque partie campe sur ses positions et utilise l’arme de la patience… ou de la provocation.
Pourquoi Israël refuse tout compromis
Pour comprendre la fermeté israélienne, il faut se replonger dans le traumatisme de l’année écoulée. Des milliers de roquettes tirées depuis le Liban, des villages évacués, des familles déplacées pendant des mois. Le nord du pays a vécu sous la menace permanente.
Aujourd’hui, le gouvernement israélien considère que la seule garantie viable passe par le désarmement total du Hezbollah au sud du Litani. Toute présence militaire est perçue comme une menace existentielle. Et tant que cette menace persiste, la pression militaire ne faiblira pas.
Cette doctrine du « zéro risque » explique pourquoi les opérations continuent malgré le cessez-le-feu. Pour Israël, la trêve n’est pas une fin en soi, mais un moyen temporaire en attendant la neutralisation complète de la menace.
Le Hezbollah entre résistance et réalisme
De son côté, le Hezbollah se trouve dans une position délicate. Affaibli militairement après des mois de combats intensifs, il ne peut se permettre une nouvelle guerre totale. Mais il ne peut pas non plus accepter un désarmement unilatéral qui signerait la fin de son statut de force de résistance.
Le mouvement chiite joue donc la carte de la conditionnalité : pas de retrait tant qu’Israël n’aura pas évacué les cinq points contestés. Une stratégie qui lui permet de sauver la face tout en évitant, pour l’instant, une confrontation directe.
Un Liban au bord du gouffre
Au milieu de ce bras de fer, c’est le Liban qui paie le prix fort. Pays déjà exsangue économiquement, il voit son sud dévasté, ses infrastructures détruites et sa souveraineté bafouée jour après jour.
L’armée libanaise, sous-équipée et divisée politiquement, se retrouve avec une mission quasi-impossible : désarmer le Hezbollah sur son propre territoire, alors même que le mouvement fait partie intégrante du paysage politique libanais.
Chaque frappe israélienne renforce paradoxalement la popularité du Hezbollah, perçu comme le seul rempart face à l’« agression » israélienne. Un cercle vicieux qui rend toute solution durable extrêmement complexe.
Vers quelle issue possible ?
À court terme, la situation semble bloquée. Israël maintient sa pression militaire. Le Hezbollah refuse tout désarmement unilatéral. L’armée libanaise temporise. Et la population, des deux côtés de la frontière, vit dans l’angoisse permanente.
Seule une médiation internationale forte, associant peut-être les États-Unis, la France et les pays arabes modérés, pourrait débloquer la situation. Mais pour l’instant, chaque acteur semble attendre que l’autre cède le premier.
Une chose est sûre : tant que la question des cinq points occupés et celle du désarmement ne seront pas résolues simultanément, la frontière israélo-libanaise restera l’un des points les plus explosifs de la planète.
Et derrière les déclarations martiales et les communiqués diplomatiques, ce sont des centaines de milliers de civils qui continuent de vivre avec la peur au ventre, guettant le moindre bruit suspect dans le ciel.
Parce qu’au final, dans ce conflit, il n’y a jamais de vrai cessez-le-feu. Seulement des pauses entre deux tempêtes.









