Imaginez une France où une fillette de 10 ans ne pourrait plus porter le voile dans la rue. Où un adolescent de 15 ans serait légalement empêché de faire le ramadan. Où chaque euro donné à une mosquée depuis l’étranger serait traqué comme une transaction suspecte. Ce n’est pas de la science-fiction : ce sont certaines des 17 mesures que vingt-neuf sénateurs Les Républicains viennent de déposer officiellement au Sénat.
Un rapport de 107 pages qui veut « réarmer » la République
Le document, fruit de plusieurs mois d’auditions, ne tourne pas autour du pot. Il parle d’un « islamisme conquérant » qui bénéficie, selon les sénateurs, d’un contexte particulièrement favorable. Le ton est martial : il faut un « réarmement républicain global » pour stopper net ce qu’ils considuent comme une menace existentielle pour les valeurs françaises.
Derrière cette initiative, on retrouve des figures connues du groupe LR au Sénat, bien décidées à reprendre la main sur un sujet qui empoisonne le débat public depuis des années. Et elles ne font pas dans la demi-mesure.
Les deux mesures qui font le plus polémique
Parmi les 17 propositions, deux sortent clairement du lot par leur caractère spectaculaire.
La première : interdire purement et simplement le port du voile pour toutes les mineures de moins de 16 ans dans l’ensemble de l’espace public. Pas seulement à l’école ou dans les administrations, mais dans la rue, les parcs, les commerces. Une mesure déjà portée récemment par Laurent Wauquiez à l’Assemblée, et qui reprend une idée défendue quelques mois plus tôt par Gabriel Attal (mais limitée aux moins de 15 ans).
La seconde est encore plus explosive : interdire le jeûne du ramadan aux mineurs de moins de 16 ans. Oui, vous avez bien lu. L’État se donnerait le droit d’empêcher un enfant ou un adolescent de jeûner pour des raisons religieuses.
Ces deux mesures, si elles étaient adoptées, marqueraient une rupture historique : pour la première fois, la loi française régulerait directement des pratiques religieuses privées concernant les enfants.
Pourquoi les juristes parlent déjà d’inconstitutionnalité
À peine déposées, ces propositions se sont heurtées à un mur juridique.
Paul Cassia, professeur de droit public à Paris-I, est formel : « Ces mesures sont discriminatoires car elles ne visent qu’une seule religion. Elles violent le principe d’égalité et la liberté religieuse garantie par la loi de 1905. »
« L’argument de la protection de l’enfance ne tient pas. La France a ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant qui garantit la liberté de pensée, de conscience et de religion de l’enfant dès qu’il est capable de discernement. »
Mathilde Philip, professeure de droit public à Lyon-III
En clair : l’État n’a pas le droit de se substituer aux parents pour décider si leur enfant peut ou non pratiquer sa religion, tant que cela ne met pas sa santé en danger de manière avérée.
Même l’interdiction du voile dans l’espace public pose un problème majeur : la loi ne peut pas interdire un vêtement dans la rue au seul motif qu’il est religieux, sauf danger grave et imminent (ce que la jurisprudence actuelle ne retient pas pour le hijab).
Les 17 mesures décryptées une par une
Voici la liste complète des propositions, pour que vous puissiez vous faire votre propre idée :
- Interdiction du port du voile pour les moins de 16 ans dans tout l’espace public
- Interdiction du jeûne religieux pour les moins de 16 ans
- Interdiction du voile pour les accompagnatrices scolaires
- Audition systématique des futurs époux pour détecter les mariages forcés
- Traçabilité totale des financements des lieux de culte
- Renforcement des déclarations pour les associations recevant des fonds étrangers
- Contrôles réels et sanctions en cas de non-respect
- Rattachement de la délivrance des visas longs séjours au ministère de l’Intérieur
- Adoption définitive de la loi sur la neutralité dans le sport
- Incitations fortes aux fédérations pour imposer la neutralité religieuse
- Interdiction des signes religieux ostentatoires pour les élus en exercice
- Maintien et renforcement de l’interdiction des signes religieux à l’école
- Surveillance des menus halal dans les restos universitaires
- Réaffirmation de la mixité obligatoire dans tous les espaces jeunesse
- Soutien renforcé aux associations laïques d’aide aux femmes
- Mesures spécifiques pour protéger les femmes sous pression communautaire
- Développement d’un grand « contre-discours républicain » face à l’islamisme
Certaines de ces mesures existent déjà en partie (comme la traçabilité des financements étrangers renforcée par la loi séparatisme de 2021), mais les sénateurs veulent aller beaucoup plus loin dans le contrôle et les sanctions.
Le cas particulier des accompagnatrices scolaires
Sur l’interdiction du voile pour les mamans qui accompagnent les sorties scolaires, le terrain juridique est plus flou. La loi actuelle laisse une marge d’appréciation aux chefs d’établissement. Le Conseil d’État a déjà validé des refus au cas par cas, mais jamais une interdiction générale et automatique.
Les sénateurs veulent trancher dans le vif : interdiction totale, sans exception. Une position déjà défendue par certains recteurs, mais qui reste minoritaire dans la jurisprudence.
Et les élus qui portent des signes religieux ?
Autre proposition qui fait grincer : interdire aux élus (maires, conseillers municipaux, régionaux…) de porter des signes religieux ostentatoires pendant l’exercice de leur mandat.
Là encore, le droit actuel est clair : un élu n’est pas un agent public. Il représente les citoyens, pas l’État (sauf quand il célèbre un mariage). Le Conseil d’État a déjà annulé des règlements intérieurs de conseils municipaux qui voulaient imposer la neutralité aux élus.
Changer cela nécessiterait une révision constitutionnelle ou une jurisprudence radicalement nouvelle.
Le nerf de la guerre : l’argent
Plus discretes mais potentiellement très efficaces, les mesures sur le financement des lieux de culte et associations pourraient être les plus réalistes à faire passer.
Les sénateurs veulent une traçabilité absolue, des sanctions lourdes, et surtout que chaque don supérieur à un certain montant soit déclaré avec l’identité réelle du donateur final (pour éviter les prête-noms).
Ils proposent aussi de rattacher la délivrance des visas de longue durée au ministère de l’Intérieur, afin de mieux contrôler les prédicateurs et imams invités depuis l’étranger.
Un contexte politique explosif
Cette initiative arrive dans un contexte où la question de l’islamisme revient sans cesse au cœur du débat public. Les attentats, les polémiques sur l’abaya, les rapports successifs des renseignements territoriaux sur l’explosion des atteintes à la laïcité… tout concourt à maintenir la pression.
Les Républicains, en perte de vitesse électorale, cherchent clairement à reconquérir un électorat tenté par des discours plus radicaux sur l’immigration et l’identité.
Mais ils se retrouvent aussi en porte-à-faux avec une partie de leur propre famille politique : rappelons que la loi séparatisme de 2021, pourtant très dure, avait été votée avec les voix LR au Sénat, mais certains élus avaient déjà trouvé qu’on n’allait pas assez loin.
Que va-t-il se passer maintenant ?
Concrètement ? Probablement pas grand-chose à court terme.
La majorité sénatoriale est LR, donc le texte sera examiné en commission puis en séance. Mais pour devenir loi, il faudra passer par l’Assemblée nationale, où Renaissance reste majoritaire (même relative) et où ce type de mesures ultra-sensibles risquent de provoquer une tempête.
Et même en cas d’adoption, le Conseil constitutionnel serait saisi à coup sûr. Et vu les avis déjà rendus par les plus grands spécialistes, l’issue semble jouée d’avance pour les mesures les plus radicales.
Mais le but n’est peut-être pas seulement législatif.
En déposant ces 17 mesures, les sénateurs LR imposent leur agenda. Ils forcent tout le monde – gouvernement, majorité, opposition – à se positionner clairement. Ils remettent la question de l’islamisme au centre, au moment même où certains voudraient passer à autre chose.
Et ça, politiquement, ça peut peser lourd.
Car derrière le débat juridique, il y a une question de société profonde : jusqu’où la République peut-elle aller pour protéger ce qu’elle considère comme ses valeurs fondamentales, quand celles-ci entrent en conflit frontal avec des pratiques religieuses minoritaires mais très visibles ?
La réponse, pour l’instant, personne ne l’a. Mais le débat, lui, est plus vif que jamais.
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