Imaginez une fillette de douze ans obligée d’épouser son cousin. Un an plus tard, elle devient mère. Pendant des années, elle subit coups, humiliations et menaces. Un jour, alors qu’elle tente de protéger son enfant de cinq ans, une altercation tourne au drame : son mari meurt. Elle a dix-huit ans et se retrouve condamnée à la pendaison. Cette histoire n’est pas un scénario de film. Elle est arrivée à Goli Kouhkan, dans le nord de l’Iran.
Une libération in extremis qui soulève l’indignation
Jeudi dernier, après sept années passées derrière les barreaux, Goli Kouhkan, aujourd’hui âgée de 25 ans, a franchi les portes de la prison de la province de Golestan. Les chaînes sont tombées. Les photos diffusées par la télévision d’État la montrent de dos, enveloppée dans un tchador noir, entourée d’officiels. Un sourire timide, presque incrédule, se devine-t-on.
Sa condamnation à mort venait d’être annulée grâce à un accord avec la famille de la victime : le paiement du diya, ou « prix du sang », une compensation financière prévue par la loi islamique iranienne. Sans cet argent, Goli aurait été exécutée dans les prochains jours.
Mariée à 12 ans, mère à 13 ans
Goli appartient à la minorité baloutche, souvent marginalisée et très pauvre dans le sud-est et le nord de l’Iran. Sans papiers d’identité, elle travaillait comme ouvrière agricole dès l’enfance. À douze ans, sa famille la donne en mariage à un cousin beaucoup plus âgé. L’année suivante, elle accouche de son premier enfant.
Les violences commencent presque immédiatement. Physiques, psychologiques, sexuelles. Son mari la bat, bat aussi leur fils. Goli n’a nulle part où aller : pas de famille pour la protéger, pas d’État pour la secourir.
« Elle a subi des violences physiques et psychologiques pendant plusieurs années », ont rappelé les experts des droits de l’homme de l’ONU la semaine dernière, en demandant instamment la suspension de son exécution.
Le jour où tout a basculé
Mai 2018. Goli a 18 ans. Ce jour-là, son mari s’en prend une nouvelle fois à elle et à leur fils de cinq ans. Dans un geste désespéré, elle appelle un proche à l’aide. Une dispute éclate entre les deux hommes. Au cours de l’altercation, le mari est mortellement blessé.
Pour la justice iranienne, peu importe le contexte de violences continues : Goli est jugée coupable de meurtre avec préméditation. Verdict : la peine de mort par pendaison.
Le « prix du sang » : justice ou marchandisation de la vie ?
En Iran, la charia autorise la famille de la victime à pardonner le coupable en échange d’une compensation financière : le diya. Cette pratique, héritée du droit islamique classique, peut sauver une vie… quand on a les moyens de payer.
Dans le cas de Goli, des ONG et des militants ont réussi à réunir la somme exigée. La famille du mari a accepté. L’exécution a été annulée et la jeune femme libérée jeudi.
Mais cette « clémence » pose problème. Comme le souligne Mai Sato, rapporteuse spéciale de l’ONU sur l’Iran :
« Une vie a été sauvée, mais le fait que les violences conjugales et les mariages d’enfants ne soient toujours pas criminalisés en Iran reste profondément choquant. »
Des chiffres qui donnent le vertige
En 2025, l’ONG Iran a déjà exécuté plus de 1 426 personnes selon le dernier décompte de l’ONG Iran Human Rights (fin novembre). Parmi elles, plus de 40 femmes. Beaucoup étaient, comme Goli, des victimes de mariages forcés précoces ou de violences conjugales extrêmes.
Le mariage des enfants reste légal dès 13 ans (et même avant avec autorisation judiciaire). Des milliers de fillettes sont mariées chaque année, surtout dans les zones rurales et parmi les minorités.
Quelques chiffres accablants :
- Plus de 30 000 mariages d’enfants enregistrés chaque année
- Age légal du mariage : 13 ans pour les filles (parfois moins)
- Plus de 40 femmes exécutées en 2025
- 1 426 exécutions au total en 2025 (record mondial hors Chine)
La minorité baloutche, doublement victime
Les Baloutches, sunnites dans un pays majoritairement chiite, vivent souvent dans l’extrême pauvreté et subissent discriminations et répression. Les femmes baloutches sont particulièrement vulnérables : faible accès à l’éducation, mariages précoces généralisés, absence totale de protection légale contre les violences.
Sans papiers, comme Goli, elles n’existent même pas aux yeux de l’administration. Impossible donc de fuir, de porter plainte ou de demander le divorce.
Un happy end qui n’en est pas vraiment un
Goli est libre. C’est une immense victoire pour les militants qui se sont battus sept ans pour elle. Mais elle sort traumatisée, sans ressources, avec un enfant à élever et une société qui continue de fermer les yeux sur les violences qu’elle a subies.
Sa libération met surtout en lumière l’absurdité d’un système où une femme battue pendant des années peut être condamnée à mort, tandis que son bourreau n’a jamais été inquiété de son vivant.
Comme des milliers d’autres Iraniennes, Goli a survécu. Mais combien n’auront pas cette chance ?
Son histoire, loin d’être isolée, nous rappelle cruellement que derrière les statistiques se cachent des vies brisées dès l’enfance. Et que la route vers la justice et l’égalité reste infiniment longue en Iran.










