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Iran : Les Députés Furieux Face à la Révolte du Voile

155 députés iraniens sur 290 viennent de signer une lettre incendiaire contre le « laxisme » du pouvoir judiciaire. Dans les rues de Téhéran, les cheveux volent au vent et les jeans moulants défient la loi. Jusqu’où ira cette révolte silencieuse du voile ?

Dans les rues de Téhéran, un vent de liberté souffle sur les cheveux des femmes. Ce qui était impensable il y a cinq ans est devenu presque banal : des Iraniennes marchent tête nue, cheveux teints en blond ou rose, jeans slim, baskets blanches et parfois même un crop-top laissant apparaître le nombril. Un défi quotidien à la loi qui, depuis 1979, impose le port du voile et des vêtements amples à toutes les femmes, quelle que soit leur religion.

Une lettre qui fait l’effet d’une bombe au Parlement

Mardi, l’agence de presse parlementaire a révélé qu’une majorité écrasante de députés – 155 sur 290 – venait d’adresser une lettre particulièrement virulente au chef du pouvoir judiciaire, Gholamhossein Mohseni Ejeï. Le ton est sans appel.

« Le pouvoir judiciaire ne peut rester passif. Cette négligence a favorisé la voie à la nudité, au non-respect du voile et à d’autres comportements anormaux », écrivent-ils.

Le mot « nudité » est régulièrement employé par les ultraconservateurs pour désigner toute tenue jugée trop légère ou trop ajustée. Pour eux, laisser voir une mèche de cheveux équivaut presque à se promener seins nus.

Un président qui refuse de durcir la répression

Le contexte est explosif. L’an dernier, le Parlement avait voté une loi extrêmement sévère prévoyant des peines allant jusqu’à dix ans de prison et des amendes colossales pour les femmes mal voilées. Massoud Pezeshkian, nouvellement élu, a purement et simplement refusé de la promulguer.

Depuis son arrivée au pouvoir en juillet 2024, le président modéré répète qu’on « ne peut pas forcer une femme à porter le voile ». Une phrase qui, dans le contexte iranien, sonne comme une révolution.

Cette position a mis le feu aux poudres chez les conservateurs et les religieux radicaux, qui y voient une capitulation face à l’Occident et une trahison des principes de la Révolution islamique.

Mahsa Amini, le point de départ d’une colère qui ne s’éteint pas

Tout a basculé en septembre 2022 avec la mort de Mahsa Amini. Arrêtée par la police des mœurs pour un « voile mal mis », la jeune Kurde de 22 ans décède trois jours plus tard en détention. Le régime parle d’une crise cardiaque. Les images de son coma et les témoignages de violences policières embrasent le pays.

Des mois de manifestations suivront, les plus importantes depuis 1979. Le slogan « Femme, Vie, Liberté » résonne dans tout l’Iran et bien au-delà. Des milliers d’arrestations, des centaines de morts, mais surtout un basculement : des femmes commencent à retirer leur voile en public, d’abord par poignée, puis par centaines de milliers.

Aujourd’hui, dans les quartiers nord de Téhéran, voir une femme voilée est presque devenu l’exception. Le mouvement ne faiblit pas, bien au contraire.

La rue contre la loi : un fossé qui s’élargit chaque jour

Dans les faits, la loi reste en vigueur. La fatwa de l’ayatollah Khamenei datant de 2014 est claire : le hijab doit couvrir tous les cheveux, ne laissant visibles que l’ovale du visage et les mains. Pourtant, plus personne ou presque ne semble s’en soucier.

Les autorités réagissent par à-coups : fermetures de cafés et restaurants qui tolèrent les clientes sans voile, déploiement ponctuel de la police des mœurs, amendes, confiscations de voitures… Mais rien n’y fait. La désobéissance est devenue massive et assumée.

Quelques chiffres qui en disent long

  • Plus de 70 % des femmes dans les grandes villes ne respectent plus strictement le code vestimentaire (estimations officieuses)
  • 155 députés sur 290 demandent aujourd’hui un durcissement immédiat
  • 0 loi promulguée renforçant les sanctions depuis l’arrivée de Pezeshkian
  • Des milliers de commerces fermés ces derniers mois pour « non-respect du hijab »

Même le bureau du Guide suprême dans la tourmente

Le symbole le plus cinglant est survenu cette semaine. Le site officiel de l’ayatollah Ali Khamenei a publié la photo d’une jeune femme tuée lors des frappes israéliennes de juin… sans voile, simplement coiffée d’une casquette, les cheveux bien visibles.

Scandale immédiat chez les ultraconservateurs. Le cliché a été rapidement retiré, mais le mal était fait : même l’institution la plus sacrée du régime semblait, l’espace d’un instant, accepter l’inacceptable.

Une société iranienne profondément clivée

Ce bras de fer autour du voile révèle un pays coupé en deux. D’un côté, les gardiens autoproclamés de la morale révolutionnaire, députés radicaux, bassidjis et une partie du clergé qui hurlent à la décadence occidentale.

De l’autre, une jeunesse urbaine, éduite, connectée, qui refuse de vivre selon des règles imposées il y a plus de quarante ans. Pour elles, enlever le voile n’est pas seulement une question de mode : c’est un acte politique, une revendication de liberté corporelle et d’égalité.

Entre les deux, un pouvoir qui navigue à vue, coincé entre la peur d’une nouvelle explosion sociale et la pression des jusqu’au-boutistes.

Et demain ?

La question que tout le monde se pose à Téhéran : jusqu’où ira cette révolte ? Le régime peut-il se permettre de laisser la rue dicter sa loi sans perdre la face ? Ou va-t-il, à un moment, décider de frapper fort pour rétablir l’ordre moral ?

Pour l’instant, chaque jour qui passe voit de nouvelles femmes retirer leur foulard dans les parcs, les métros, les centres commerciaux. Un geste simple, presque anodin en apparence, mais qui ébranle les fondations mêmes de la République islamique.

Car en Iran, le voile n’est pas qu’un bout de tissu. C’est le symbole d’un contrat social imposé en 1979 et que toute une partie de la population, surtout féminine et jeune, refuse désormais d’honorer.

La bataille du hijab est loin d’être terminée. Elle ne fait, peut-être, que commencer.

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