Imaginez une capitale habituellement grouillante de monde, où les klaxons et la circulation frénétique font partie du quotidien. Et soudain, le silence. Les rues presque désertes, une atmosphère pesante. C’est la scène qui se dessine actuellement à Téhéran, alors que le pays traverse une nouvelle vague de mécontentement populaire. Au cœur de cette colère : l’explosion des prix qui rend la vie quotidienne de plus en plus difficile pour des millions d’Iraniens.
Une grogne née au cœur du commerce
Tout a commencé dans le plus grand marché spécialisé dans la téléphonie mobile de la capitale. Dimanche, des commerçants, excédés par la flambée des coûts, ont décidé de faire entendre leur voix. Ce qui n’était au départ qu’une protestation spontanée de professionnels du commerce s’est rapidement transformé en mouvement plus large.
Les raisons de cette colère sont multiples et profondément ancrées dans le quotidien des Iraniens. L’hyperinflation ronge le pouvoir d’achat, les prix des produits de première nécessité grimpent de façon vertigineuse, tandis que les salaires stagnent ou progressent à peine. Pour de nombreux citoyens, la simple survie devient un combat de chaque instant.
L’entrée en scène des étudiants
Au troisième jour du mouvement, la contestation a pris une nouvelle dimension. Des étudiants de plusieurs universités prestigieuses ont rejoint le mouvement, transformant des protestations sectorielles en une mobilisation plus large et plus symbolique. Au moins dix campus ont connu des rassemblements dans la capitale et dans plusieurs autres villes du pays.
Cette jonction entre commerçants et étudiants n’est pas anodine. Elle rappelle que la jeunesse iranienne, souvent très active sur les réseaux sociaux, reste extrêmement sensible aux questions économiques qui touchent directement leur avenir et celui de leurs familles.
Une réponse judiciaire sans ambiguïté
Face à cette montée en puissance du mouvement, le pouvoir judiciaire a tenu à poser des limites très claires. Le procureur général de la République islamique a tenu des propos sans détour : les manifestations pacifiques pour défendre ses moyens de subsistance sont « compréhensibles », mais toute tentative de transformer ce mouvement en outil de déstabilisation sera fermement réprimée.
« Toute tentative visant à transformer les manifestations économiques en un outil d’insécurité, de destruction des biens publics ou de mise en œuvre de scénarios conçus à l’étranger sera inévitablement suivie d’une réponse légale, proportionnée et ferme. »
Cette déclaration officielle laisse peu de place à l’interprétation : le régime distingue clairement les revendications économiques légitimes de ce qu’il considère comme des tentatives de subversion orchestrées de l’extérieur.
Un contexte international tendu
Le message envoyé sur les réseaux sociaux par le service de renseignement extérieur israélien n’a pas dû passer inaperçu à Téhéran. En invitant les protestataires à intensifier leur mobilisation et en affirmant être « présents sur le terrain », cette déclaration a immédiatement été reprise et traduite en hébreu, renforçant la conviction des autorités iraniennes que des acteurs étrangers cherchent à instrumentaliser le mécontentement populaire.
Cette dimension géopolitique complexifie encore davantage la situation. Pour le pouvoir en place, toute contestation interne risque d’être exploitée par des adversaires extérieurs, ce qui justifie selon lui une vigilance et une fermeté accrues.
Une capitale inhabituellement calme
Mercredi matin, les rues de Téhéran présentaient un visage inhabituel. Loin du chaos sonore habituel, la circulation était étonnamment fluide. Cette accalmie s’explique principalement par la décision des autorités de fermer écoles, banques et administrations publiques en raison des températures particulièrement basses et pour réaliser des économies d’énergie.
Cette mesure, officiellement justifiée par des raisons climatiques et énergétiques, intervient au moment même où la contestation semblait vouloir prendre de l’ampleur. Certains y voient une simple coïncidence, d’autres une stratégie délibérée pour limiter les rassemblements.
Des universités prestigieuses en enseignement à distance
Parmi les établissements qui ont annoncé le passage en cours en ligne pour toute la semaine prochaine figurent deux universités parmi les plus réputées du pays : l’université Beheshti et l’université Allameh Tabataba’i. Là encore, la raison invoquée est la vague de froid qui frappe la capitale.
Ces décisions, qui touchent particulièrement les campus où les manifestations étudiantes ont été les plus visibles, pourraient avoir pour effet de limiter les possibilités de rassemblement dans les semaines à venir.
Comparaison avec les grandes vagues de contestation passées
Pour l’instant, le mouvement actuel reste d’une ampleur bien moindre que les grandes mobilisations qui ont secoué le pays ces dernières années. Les manifestations de fin 2022, déclenchées par la mort en détention de Mahsa Amini, avaient pris une dimension nationale et avaient entraîné des centaines de décès, y compris parmi les forces de sécurité.
De même, les protestations de 2019 suite à l’augmentation brutale du prix de l’essence avaient touché une centaine de villes et avaient également fait de nombreuses victimes.
Cette fois-ci, la contestation reste principalement concentrée dans la capitale, et même là, elle concerne surtout certains quartiers commerciaux. La majorité des magasins de la ville ont continué leur activité normalement, signe que le mouvement n’a pas encore atteint une masse critique.
Les racines profondes de la colère économique
Au-delà des événements immédiats, ce nouvel accès de fièvre sociale révèle des tensions structurelles profondes. L’économie iranienne subit depuis de longues années les effets cumulés des sanctions internationales, d’une gestion économique controversée et d’une inflation chronique.
Pour de nombreux observateurs, le vrai défi pour les autorités ne réside pas tant dans la gestion immédiate de la contestation que dans la capacité à apporter des réponses concrètes aux difficultés économiques des citoyens. Tant que les prix continueront de grimper plus vite que les revenus, le risque de nouvelles vagues de protestation restera élevé.
Un hiver sous tension
Les températures négatives qui frappent actuellement la capitale ajoutent encore une couche de complexité à la situation. Le froid intense rend la vie quotidienne plus difficile, augmente les besoins énergétiques et crée un contexte particulièrement propice au mécontentement.
Dans ce contexte hivernal rigoureux, les autorités doivent jongler entre plusieurs impératifs : maintenir l’ordre public, gérer la crise énergétique, répondre aux attentes économiques de la population et surveiller toute tentative d’instrumentalisation politique du mouvement.
Vers une désescalade ou une escalade ?
Pour l’instant, la situation reste incertaine. D’un côté, le mouvement semble avoir perdu de sa vigueur avec la fermeture des établissements publics et le passage en enseignement à distance. De l’autre, les causes profondes de la contestation restent intactes, voire se sont aggravées avec la vague de froid actuelle.
Le discours très ferme du procureur général envoie un message clair : les autorités ne laisseront pas la contestation économique se transformer en mouvement politique d’ampleur. Mais cette fermeté affichée suffira-t-elle à éteindre la colère, ou risque-t-elle au contraire d’attiser le ressentiment d’une population qui se sent de plus en plus étranglée économiquement ?
Les prochains jours, et surtout les prochaines semaines, seront déterminants pour comprendre dans quelle direction évolue cette nouvelle séquence de tension sociale en Iran. Entre prudence des manifestants, fermeté affichée des autorités et contexte économique toujours plus difficile, le pays semble naviguer en eaux particulièrement troubles en ce début d’année.
Une chose est sûre : les regards du monde entier restent tournés vers Téhéran, attentifs au moindre signe qui pourrait indiquer que cette vague de mécontentement économique pourrait, cette fois encore, dépasser le simple cadre des revendications corporatistes pour toucher au cœur même du système politique iranien.









