Imaginez un tribunal qui condamne un pays entier à verser des dizaines de milliards de dollars à un autre État. Cela ressemble à un scénario de film d’espionnage, et pourtant, c’est exactement ce qui vient de se produire à Téhéran.
Ce mardi, le porte-parole du pouvoir judiciaire iranien a annoncé qu’un tribunal de la capitale avait condamné le gouvernement américain à payer plus de 22 milliards de dollars. Le motif ? Un soutien matériel et moral présumé aux manifestants de l’automne 2022, ces semaines de colère déclenchées par la mort de Mahsa Amini.
Une condamnation symbolique aux allures de règlement de comptes
La nouvelle a fait l’effet d’une bombe dans les cercles diplomatiques. Asghar Jahangir, porte-parole du pouvoir judiciaire, n’a pas mâché ses mots lors de sa conférence de presse hebdomadaire. « La marque des États-Unis est évidente dans de nombreux crimes commis en Iran », a-t-il asséné, avant de préciser que cette condamnation concernait directement les événements de 2022.
Pour comprendre l’ampleur de la décision, il faut revenir trois ans en arrière. Septembre 2022 : Mahsa Amini, jeune Kurde iranienne de 22 ans, décède en détention après son arrestation par la police des mœurs pour un voile jugé mal porté. La nouvelle embrase le pays. Des centaines de milliers de personnes descendent dans la rue, dans ce qui deviendra le plus important mouvement de contestation depuis la Révolution de 1979.
Des manifestations qualifiées d’« émeutes » par Téhéran
Pour le régime iranien, ces rassemblements n’ont rien de spontané. Dès les premiers jours, les autorités parlent d’une opération orchestrée depuis l’étranger. Les États-Unis, Israël et plusieurs pays européens sont pointés du doigt. Des milliers d’arrestations ont lieu. Les bilans officiels font état de centaines de morts, dont de nombreux membres des forces de l’ordre.
À l’époque, Washington avait publiquement apporté son soutien aux manifestants. Des responsables américains avaient salué le courage des femmes iraniennes et imposé de nouvelles sanctions contre la police des mœurs. Des gestes interprétés à Téhéran comme une ingérence directe et une incitation à la violence.
« Le gouvernement américain a été condamné à payer plus de 22 milliards de dollars pour avoir fourni un soutien matériel et moral aux émeutiers de 2022 »
Asghar Jahangir, porte-parole du pouvoir judiciaire iranien
22 milliards : un montant calculé comment ?
Le porte-parole n’a pas détaillé la méthode de calcul. On peut néanmoins supposer que le montant inclut les dégâts matériels (voitures brûlées, bâtiments publics endommagés), les pertes humaines côté forces de l’ordre, mais aussi une forme de « préjudice moral » pour l’État iranien.
Cette pratique n’est pas nouvelle. En 2023, un autre tribunal iranien avait déjà condamné les États-Unis à verser près de 50 milliards de dollars pour l’assassinat du général Qassem Soleimani en janvier 2020 à Bagdad. Des décisions purement symboliques, mais qui servent de levier politique et médiatique.
Note de contexte : Ces jugements rendus par des tribunaux iraniens n’ont aucune valeur juridique internationale. Les États-Unis n’ont jamais reconnu leur compétence et ne verseront évidemment jamais ces sommes. Ils servent surtout de réponse symbolique aux sanctions occidentales.
Israël également montré du doigt
Dans sa déclaration, Asghar Jahangir n’a pas épargné l’État hébreu. Les deux pays, ennemis jurés, se sont affrontés militairement en juin dernier lors d’une guerre éclair de douze jours. Des frappes israéliennes sur des sites nucléaires iraniens, suivies de ripostes iraniennes, puis de bombardements américains sur certains sites sensibles.
Pour Téhéran, ces attaques militaires visaient un objectif clair : déstabiliser le régime en profitant d’un contexte intérieur fragile. L’idée d’un « complot global » associant Washington et Tel-Aviv est devenue une antienne officielle.
Le porte-parole a d’ailleurs affirmé que les événements de 2022 avaient « entraîné la mort de personnes innocentes et des dégâts matériels considérables ». Une façon de lier les manifestations internes à une supposée guerre hybride menée par les puissances occidentales.
Une stratégie judiciaire bien rodée
Condamner des États étrangers par contumace est devenu une spécialité iranienne ces dernières années. Outre les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont déjà été visés par des jugements similaires, souvent pour des montants astronomiques.
Ces décisions ont plusieurs fonctions :
- Renforcer le récit officiel d’un Iran victime d’une agression permanente
- Souder la base révolutionnaire en désignant un ennemi extérieur
- Tenter, à terme, de saisir des avoirs étrangers bloqués (même si cela reste très hypothétique)
- Répondre symboliquement aux sanctions économiques qui asphyxient le pays
Dans les faits, aucun de ces jugements n’a jamais été exécuté. Mais ils alimentent une guerre juridique parallèle où chaque camp brandit ses propres tribunaux pour légitimer sa narrative.
Et maintenant ?
La décision annoncée ce mardi ne changera rien sur le terrain. Washington n’a même pas jugé utile de réagir officiellement pour l’instant – un silence éloquent. Mais elle tombe à un moment où les tensions sont déjà à leur paroxysme entre l’Iran et ses adversaires.
Entre négociations nucléaires au point mort, guerre à Gaza, frappes au Liban et en Syrie, et maintenant cette nouvelle provocation judiciaire, le Moyen-Orient continue de jouer sur le fil du rasoir.
Ce qui est certain, c’est que l’affaire Mahsa Amini reste une blessure ouverte en Iran. Trois ans après, son nom résonne encore dans les conversations privées, même si la rue s’est tue sous la répression. Et chaque nouvelle décision comme celle-ci ravive les braises d’un conflit qui, loin de s’éteindre, semble se déplacer sur tous les terrains possibles : militaire, économique, judiciaire, médiatique.
22 milliards de dollars. Un chiffre vertigineux pour une condamnation qui ne sera jamais payée. Mais dans la guerre des symboles que se livrent Téhéran et Washington, l’argent n’est qu’un prétexte. Le vrai enjeu, lui, est ailleurs.









