René, un retraité strasbourgeois de 76 ans, mène un combat acharné contre la prolifération des locations saisonnières de type Airbnb dans son quartier. Propriétaire depuis 1980 d’un appartement dans un immeuble historique du centre-ville, à deux pas de la cathédrale, il voit d’un très mauvais œil les projets de transformation des derniers étages en meublés touristiques.
« C’est l’une des premières maisons françaises de Strasbourg, avec un escalier parfaitement conservé datant du XIXe siècle », décrit René, la voix chargée d’émotion. La perspective de voir cet édifice chargé d’histoire « saccagé » par les va-et-vient des touristes le révolte. « Je n’en ai pas de preuves, mais c’est ce qui se profile, et c’est ma plus grande hantise car ce sera juste au-dessus de mon appartement », confie-t-il.
La « Airbnbisation » galopante des centres-villes
Avec plus de 2800 meublés touristiques recensés par la municipalité, Strasbourg n’échappe pas au phénomène de « Airbnbisation » qui touche de nombreuses villes françaises et européennes. Dans le quartier ultra-touristique où réside René, ce type d’opérations immobilières est devenu monnaie courante, au grand dam des habitants.
Les nuisances sonores liées aux allées et venues des touristes, le sentiment d’insécurité généré par la présence de visiteurs inconnus, la hausse des prix de l’immobilier et la raréfaction des logements disponibles pour les résidents permanents sont autant de griefs formulés à l’encontre des plateformes de locations entre particuliers.
« Je refuse de m’empoisonner les dernières années de ma vie »
Pour René, hors de question de se résigner. « Je refuse de m’empoisonner les dernières années de ma vie », martèle ce septuagénaire bien décidé à en découdre. Très attaché à son quartier et à son immeuble, il multiplie les démarches auprès de la copropriété et de la mairie pour tenter d’empêcher la transformation des appartements en meublés touristiques.
Mais la partie est loin d’être gagnée, tant la pression est forte. « Tout le monde veut sa part du gâteau, déplore-t-il. Les propriétaires qui vendent à des sociétés spécialisées empochent une belle plus-value, les agences se frottent les mains et les autorités voient les taxes de séjour rentrer dans les caisses. Mais à quel prix pour les habitants et pour le patrimoine ? »
Un combat inégal mais nécessaire
René a conscience que son combat est celui de David contre Goliath. Mais il ne compte pas baisser les bras, convaincu de défendre l’intérêt général face aux appétits particuliers. « C’est une question de choix de société, estime-t-il. Veut-on des villes-musées sans âme, livrées aux touristes et aux investisseurs ? Ou des cités vivantes, avec des habitants qui participent à la vie locale et préservent leur patrimoine ? »
Des questions qui font écho aux débats actuels sur la régulation des meublés de tourisme. De plus en plus de municipalités, comme Paris, Lyon ou Bordeaux, prennent des mesures pour encadrer le phénomène, en limitant la durée des locations, en imposant des enregistrements ou en sanctionnant les abus.
Mais ces règles restent souvent difficiles à appliquer, face à des plateformes puissantes et à des propriétaires motivés par les perspectives de gain. Dans ce contexte, le combat de René apparaît à la fois courageux, inégal et emblématique d’une résistance citoyenne qui, par petites touches, essaie de préserver l’âme et le patrimoine des centres anciens.
Trouver un équilibre entre tourisme et vie locale
Au-delà du cas particulier de René et de Strasbourg, c’est la question plus large de la cohabitation entre tourisme et vie locale qui est posée. Si l’apport économique des visiteurs est indéniable, leur présence massive et non régulée peut mettre en péril l’équilibre fragile des quartiers historiques.
Il faut trouver un juste milieu entre le développement touristique, nécessaire, et le maintien d’une vie de quartier, qui fait l’identité de nos villes.
Une élue strasbourgeoise
Pour y parvenir, une action coordonnée des pouvoirs publics, des acteurs du tourisme et des citoyens semble indispensable. Définir des quotas de meublés touristiques, favoriser les locations de longue durée, soutenir les commerces et services de proximité, sensibiliser les visiteurs au respect des habitants : autant de pistes évoquées pour préserver l’authenticité et la vitalité des cœurs de ville.
Autant de défis à relever pour que les retraités comme René puissent continuer à profiter sereinement de leur lieu de vie, sans craindre d’être dépossédés de leur cadre et de leurs souvenirs par une déferlante touristique incontrôlée. Le combat continue.