Imaginez-vous, du jour au lendemain, privé d’Instagram, de TikTok ou de Snapchat avant vos seize ans. Impossible de liker, de scroller, de poster la moindre story. C’est exactement ce qui arrive aux adolescents australiens dès cette semaine. L’Australie devient le premier pays au monde à imposer une interdiction aussi radicale. Et pendant que les plateformes s’organisent pour bloquer les comptes, le reste de la planète observe, commente, s’interroge.
Est-ce une mesure courageuse pour protéger la santé mentale des plus jeunes ? Ou une atteinte disproportionnée à leur liberté ? Pour le savoir, nous avons recueilli les réactions d’adolescents et de parents aux quatre coins du monde. De l’Inde au Nigeria, du Qatar à l’Allemagne, les avis sont loin d’être unanimes.
Une interdiction qui fait déjà trembler la planète numérique
Avant même son entrée en vigueur, la loi australienne déclenche un débat mondial. Les plateformes ont jusqu’à mercredi pour mettre en place des systèmes de vérification d’âge fiables. En cas de manquement, les amendes peuvent atteindre des millions de dollars. Mais au-delà des aspects techniques, c’est bien la question de fond qui passionne : a-t-on le droit de couper ainsi les jeunes du monde numérique ?
Bombay : « Rien n’est tout noir ou tout blanc »
Sur le front de mer de Bombay, Pratigya Jena, 19 ans, regarde des vidéos Instagram avec ses amis. Pour cette étudiante, interdire totalement les réseaux sociaux serait une erreur.
« Les réseaux sociaux ne devraient être interdits que partiellement, car selon moi, rien n’est tout noir ou tout blanc. »
Elle reconnaît que la génération Z accomplit « de grandes choses » en ligne, notamment les jeunes entrepreneurs qui se lancent grâce à ces plateformes. Mais elle admet aussi les dangers : des enfants exposés trop tôt à des contenus pour adultes, avec toutes les conséquences que cela implique.
À quelques kilomètres, Pratik Bhurke, entraîneur de cricket de 38 ans, voit les choses autrement. Pour lui, cette mesure va pousser les enfants à sortir, à pratiquer du sport, à retrouver une vie « réelle ». Un avis partagé par de nombreux parents épuisés de voir leurs enfants rivés sur leur écran.
Berlin : « Un peu extrême, mais ça pourrait aider »
Dans les rues glacées de la capitale allemande, Luna Drewes, 13 ans, trouve l’idée plutôt bonne.
« Les réseaux sociaux montrent souvent une certaine image de ce à quoi les gens devraient ressembler. Par exemple, les filles doivent être minces. »
Elle est consciente de la pression esthétique qui pèse sur les adolescentes. Son ami Enno Caro Brandes, 15 ans, emmitouflé dans ses gants tactiles, tempère :
« Une interdiction, c’est un peu extrême, mais ça pourrait vraiment aider à se désintoxiquer. »
Comme beaucoup d’ados européens, ils oscillent entre compréhension et réticence. Ils savent que les réseaux peuvent faire mal, mais ils n’imaginent pas leur quotidien sans.
Doha : « Facile à contourner »
Au Qatar, l’ambiance est plus sceptique. Firdha Razak, 16 ans, regarde des vidéos générées par intelligence artificielle et trouve la mesure australienne « vraiment stupide ».
Youssef Walid, même âge, va plus loin :
« On peut utiliser un VPN. On peut facilement contourner et créer de nouveaux comptes. »
Pour ces adolescents ultra-connectés, aucune loi ne pourra jamais complètement les débrancher. Ils ont grandi avec les outils pour contourner les restrictions, et ils n’hésiteront pas à les utiliser.
Lagos : « Nous sommes nés avec »
Dans un lycée nigérian où les téléphones sont déjà interdits en classe, Mitchelle Okinedo, 15 ans, révise sur ses cahiers papier. Elle comprend la démarche australienne : les élèves sont distraits en permanence.
Mais elle ajoute aussitôt :
« Nous sommes nés avec ça. Je ne pense pas que ce soit quelque chose que je souhaite arrêter. »
Sa mère, Hannah, approuve totalement l’interdiction. Comme beaucoup de parents débordés, elle n’a tout simplement « pas le temps de surveiller ses enfants toute la journée ».
Mexico : « Aujourd’hui, les réseaux sociaux sont très importants pour s’exprimer »
À Mexico, Aranza Gomez n’a que 11 ans et possède déjà son téléphone depuis un an. Sans réseaux sociaux, elle serait « honnêtement triste ».
Santiago Ramirez Rojas, 16 ans, défend farouchement la liberté d’expression :
« Quel que soit son âge, aujourd’hui les réseaux sociaux sont très importants pour s’exprimer. »
Mais il nuance immédiatement : les enlèvements qui commencent en ligne, les prédateurs, les enfants de 10-12 ans beaucoup plus vulnérables… Il sait que le danger existe. Il le voit tous les jours.
Sydney : même en Australie, les avis divergent
Paradoxalement, c’est dans le pays qui applique la loi que les opinions sont les plus tranchées au sein des familles.
Layton Lewis, 15 ans, reste sceptique :
« Je ne pense pas que le gouvernement sache vraiment ce qu’il fait et je ne pense pas que cela aura un impact. »
Sa mère Emily, elle, espère le meilleur :
« Ils organiseront de vraies sorties, comme on le faisait avant, pour rencontrer leurs amis en personne et avoir de vraies conversations. »
Entre la mère nostalgique des rencontres réelles et le fils persuadé qu’on trouvera toujours un moyen de contourner la loi, le fossé générationnel n’a jamais paru aussi évident.
Ce que révèle ce tour du monde des réactions
- Personne ne nie complètement les dangers des réseaux sociaux pour les plus jeunes.
- Mais personne ne veut non plus d’une interdiction totale perçue comme infantilisante.
- Les adolescents savent contourner les restrictions et le feront.
- Les parents, eux, sont souvent soulagés à l’idée d’avoir enfin un cadre légal.
Ce qui frappe dans toutes ces voix, c’est l’absence de réponse simple. Il n’y a pas les « pour » d’un côté et les « contre » de l’autre. Il y a des adolescents qui reconnaissent les dégâts tout en refusant de lâcher leurs outils. Il y a des parents qui applaudissent mais savent que leurs enfants trouveront des solutions.
L’Australie vient d’ouvrir une boîte de Pandore mondiale. D’autres pays regarderont les résultats : baisse du cyberharcèlement ? Meilleure concentration à l’école ? Moins d’anxiété chez les adolescents ? Ou simple déplacement du problème vers des applications moins contrôlées ?
Une chose est sûre : la génération Z ne se laissera pas déconnecter aussi facilement. Elle a grandi avec Internet dans les veines. Et même une loi, même des amendes records, même les plateformes les plus coopératives ne pourront pas complètement l’en priver.
Le débat ne fait que commencer. Et vous, de quel côté vous situez-vous ?









