À cheval sur la frontière entre les États-Unis et le Canada, les villages de Derby Line au Vermont et Stanstead au Québec vivent depuis toujours au rythme d’une coopération exemplaire. Mais à quelques jours de l’investiture de Donald Trump, le 20 janvier prochain, l’incertitude règne. Les déclarations fracassantes du président élu américain, promettant de reprendre le contrôle des frontières et menaçant d’imposer des droits de douane, font craindre un bouleversement du quotidien de ces communautés si proches.
Une frontière si poreuse remise en question
Ici, la frontière est partout et nulle part à la fois. La bibliothèque Haskell, située à cheval entre les deux pays, en est le symbole éclatant. Côté américain ou canadien, les habitants s’y côtoient librement, sans formalité douanière. Mais cet entre-deux si particulier pourrait bientôt voler en éclats.
Nous avons des liens très, très forts. Mais il y a de l’incertitude. Est-ce qu’on va maintenir nos bonnes relations ?
Jody Stone, maire de Stanstead
Au-delà des échanges quotidiens, les deux communautés partagent de nombreux services essentiels comme l’approvisionnement en eau ou l’assistance des pompiers en cas d’incendie. Les enfants canadiens de Stanstead sont même scolarisés par des professeurs venus de Derby Line. Toute cette organisation pourrait être remise en cause par un durcissement des contrôles à la frontière.
Les entreprises locales se préparent au pire
Si les menaces de droits de douanes venaient à se concrétiser, l’économie locale en pâtirait sérieusement. De nombreuses entreprises de la région, notamment celles travaillant le granit extrait des carrières environnantes, exportent massivement vers les États-Unis. Elles redoutent les conséquences des velléités protectionnistes du futur locataire de la Maison Blanche.
Le maire de Stanstead, qui possède lui-même une entreprise de distribution, anticipe d’éventuelles mesures de rétorsion du Canada. Il cherche dès à présent à se fournir au maximum auprès de fournisseurs canadiens.
Je me prépare, je m’assure d’acheter le plus possible au Canada parce que si jamais il y a un problème avec les Américains, je dois être capable de fournir mes clients au Québec.
Jody Stone, maire de Stanstead
Entre attachement et incompréhension côté américain
À Derby Line, les propos de Donald Trump suscitent la perplexité. Les Américains considèrent les liens historiques qui les unissent à leurs voisins canadiens comme plus importants que les rodomontades du futur président.
J’aime le Canada et j’aime y aller, je n’ai aucun problème avec ce pays. J’espère que cela ne va pas créer des divisions.
Rachel McDowell, habitante de Derby Line
Certains, comme Guy Lemay, un policier canadien à la retraite, se montrent toutefois favorables à un renforcement des contrôles frontaliers, dans la lignée des propositions de Donald Trump. Le gouvernement canadien a d’ailleurs prévu de déployer des moyens supplémentaires, entre drones et agents.
Mais les menaces de sanctions commerciales laissent dubitatif. « Je ne comprends pas, ils n’ont pas pris les mêmes cours de comptabilité que nous », s’étonne Guy Lemay, qui craint que les citoyens des deux côtés de la frontière n’aient à en payer le prix fort.
À l’aube d’une nouvelle ère, les communautés frontalières de Derby Line et Stanstead retiennent leur souffle. Entre espoir de voir perdurer une relation unique et crainte d’un bouleversement de leur art de vivre, Donald Trump est dans toutes les conversations. L’avenir dira si ce microcosme où la frontière s’efface au quotidien saura préserver son modèle face à la déferlante trumpienne.