Imaginez rentrer chez vous un soir ordinaire et découvrir votre quartier transformé en champ de bataille. Des vitres brisées jonchent le sol, des voitures sont saccagées, et l’air est chargé de peur. C’est la réalité que vivent aujourd’hui de nombreux membres de la minorité alaouite sur la côte syrienne, confrontés à une vague de violences qui ravive de douloureux souvenirs.
Une Nuit de Violence à Lattaquié
Dans le quartier de Ramel al-Chamali, à majorité alaouite, les habitants décrivent avec effroi les événements d’une récente nuit. Un groupe armé de couteaux a déferlé dans les rues, ciblant voitures, magasins et restaurants. Les insultes fusaient, dirigées spécifiquement contre la communauté alaouite.
Iyad, un résident qui préfère garder l’anonymat pour sa sécurité, raconte comment une quarantaine d’individus ont semé la panique. « Ils ont tout détruit sur leur passage », confie-t-il, encore sous le choc. À ses côtés, Ali Hassan, 66 ans, contemple sa voiture endommagée. Pour lui, ces actes sont inacceptables : « La Syrie appartient à tous. Il faut que la raison revienne. »
« La Syrie appartient à tout le monde. J’appelle chacun à retrouver la raison. »
Ali Hassan, habitant de Lattaquié
Un Mort et des Arrestations
La nuit a été fatale pour au moins une personne. Selon des sources locales, un homme alaouite a été abattu dans sa voiture après une course-poursuite par trois assaillants. Ce drame a poussé les autorités à réagir rapidement.
Le lendemain, un couvre-feu a été instauré dans la ville de Lattaquié. Les forces de sécurité ont renforcé leur présence, mais certains habitants leur reprochent d’avoir tardé à intervenir malgré les appels à l’aide. Parallèlement, 21 personnes liées à l’ancien régime ont été arrêtées dans la province, accusées d’incitation à des violences confessionnelles et d’attaques contre les forces de l’ordre.
Ces arrestations visent des individus considérés comme des « vestiges » du pouvoir précédent, dont le président déchu était issu de la communauté alaouite. Les autorités n’ont pas communiqué de bilan officiel des victimes, laissant planer un certain flou.
Les Appels à la Protection de la Communauté
Intissar al-Aboud, une mère de famille de 60 ans, exprime une demande claire : des postes de contrôle à l’entrée de son quartier pour assurer la sécurité. Sa famille a perdu quatre véhicules dans les saccages. « Nous avons besoin de protection », insiste-t-elle.
Manal, commerçante de 62 ans, refuse de donner son nom complet par peur des représailles. Elle espère que ces incidents seront les derniers. « Nous sommes tous frères, d’un même sang », déclare-t-elle, en soulignant que les auteurs comme les victimes font partie de la même société syrienne.
« Nous sommes tous frères et sœurs, d’un même sang. Celui qui a vandalisé la rue est notre fils, et celui dont la voiture ou le magasin a été endommagé est aussi notre fils. »
Manal, commerçante à Lattaquié
Ces témoignages révèlent une communauté blessée, qui cherche à la fois justice et réconciliation. Mais la peur domine, nourrie par un contexte plus large de tensions.
Un Contexte de Tensions Confessionnelles Accrues
La minorité alaouite, branche de l’islam chiite, représente une part réduite de la population syrienne dans un pays aux multiples confessions. Depuis la prise de pouvoir par une coalition islamiste à Damas fin 2024, cette communauté fait face à des attaques répétées.
Les violences récentes à Lattaquié suivent de peu d’autres incidents graves. Des manifestations de la communauté ont dégénéré, causant la mort de trois personnes, dont un membre des forces de sécurité. Plus tôt, une explosion dans une mosquée d’un quartier alaouite à Homs a tué huit personnes pendant la prière.
Ces événements rappellent cruellement les massacres de mars sur le littoral syrien. Plus de 1 700 personnes, majoritairement alaouites, ont perdu la vie lors d’affrontements entre forces de sécurité et partisans de l’ancien régime. Une enquête nationale a confirmé au moins 1 426 morts, essentiellement des civils.
Chronologie récente des violences :
- Mars : Massacres sur la côte faisant plus de 1 700 morts.
- Derniers jours : Explosion à Homs (8 morts).
- Récemment : Manifestations à Lattaquié (3 morts).
- Nuit récente : Attaques à Ramel al-Chamali (1 mort, nombreux dégâts).
Entre Peur et Espoir de Réconciliation
Les habitants alaouites oscillent entre angoisse et désir d’apaisement. Beaucoup insistent sur l’unité nationale, rappelant que la Syrie est un pays multi-ethnique où toutes les communautés doivent coexister.
Pourtant, les attaques ciblées créent un climat de suspicion. Les saccages ne semblent pas aléatoires : insultes confessionnelles, choix des quartiers, timing après la chute du régime précédent. Tout concourt à faire craindre une vengeance sectaire.
Les autorités, en imposant un couvre-feu et en procédant à des arrestations, tentent de restaurer l’ordre. Mais pour beaucoup, ces mesures arrivent trop tard ou paraissent insuffisantes face à la profondeur des fractures.
Vers une Syrie Apaisée ?
La question que se posent désormais les observateurs comme les Syriens eux-mêmes est simple : ces violences marquent-elles un pic temporaire ou l’amorce d’une instabilité durable ? La communauté alaouite, historiquement associée au pouvoir déchu, paie aujourd’hui un lourd tribut.
Les appels à la raison, comme ceux d’Ali Hassan ou de Manal, résonnent comme un espoir fragile. Ils rappellent que derrière les confessions, il y a des familles, des voisins, un destin commun.
Mais tant que la sécurité ne sera pas garantie pour tous, la peur risque de dominer. Les postes de contrôle demandés, le renforcement policier, les enquêtes : autant de mesures nécessaires, mais qui ne suffiront pas sans un vrai dialogue national.
La Syrie sort d’années de conflit. La reconstruction ne sera pas seulement matérielle : elle devra aussi panser les blessures invisibles laissées par les divisions confessionnelles. Le chemin est long, semé d’embûches, mais l’aspiration à la paix reste vive chez ceux qui ont tout perdu dans la nuit.
En attendant, dans les rues de Lattaquié, on ramasse les débris. On répare ce qui peut l’être. Et on espère que la prochaine nuit sera calme.
La Syrie d’aujourd’hui nous rappelle combien la paix est fragile. Chaque acte de violence creuse un peu plus le fossé entre communautés. Mais chaque voix appelant à l’unité, comme celles entendues à Lattaquié, plante une graine d’espoir.
(Note : Cet article relate des événements rapportés par des témoins et des observateurs sur le terrain. La situation évolue rapidement en Syrie, et les informations doivent être recoupées avec prudence.)
Pour comprendre pleinement ces tensions, il faut se souvenir que la minorité alaouite a souvent été perçue comme privilégiée sous l’ancien régime. Cette association, juste ou non, alimente aujourd’hui des rancœurs accumulées.
Mais réduire la communauté entière à cette image serait une erreur. Beaucoup d’alaouites n’ont jamais bénéficié directement du pouvoir et souffrent aujourd’hui comme les autres Syriens des conséquences du chaos.
Les violences actuelles risquent de perpetuer un cycle vicieux : attaques, représailles, peur accrue. Briser ce cycle nécessitera du courage politique et une volonté réelle d’inclusion.
En conclusion, l’inquiétude des alaouites n’est pas seulement une affaire communautaire. Elle concerne l’avenir de toute la Syrie. Un pays où une minorité se sent menacée ne peut prétendre à la stabilité. La protection de tous est la condition d’une paix durable.









