Depuis les inondations dévastatrices qui ont frappé le sud-est de l’Espagne fin octobre, faisant plus de 220 morts, la colère de la population ne cesse de monter. Ce samedi, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues de Valence et d’autres villes du pays pour exprimer leur indignation face à la gestion de la catastrophe par les autorités, jugée défaillante et inadaptée. Une mobilisation d’une ampleur inédite qui illustre le désarroi et l’exaspération des sinistrés.
Une marée humaine déferle sur Valence pour crier sa colère
C’est une véritable marée humaine qui a investi les rues de Valence en cette fin d’après-midi. Selon la délégation gouvernementale, pas moins de 130 000 personnes ont participé à la manifestation, parties de la place de la mairie pour rejoindre le siège du gouvernement régional, un kilomètre plus loin. Dans le cortège, les slogans fusent, accusateurs : “Assassins, assassins !”, “Mazón démission !”. Ce dernier, Carlos Mazón, président du gouvernement valencien et membre du Parti Populaire (droite), concentre une grande partie des griefs. Mais le Premier ministre socialiste Pedro Sánchez est lui aussi vivement critiqué.
Les deux hommes sont accusés par les sinistrés d’avoir gravement sous-estimé les risques d’inondations malgré les alertes météo, et d’avoir très mal coordonné les secours une fois le drame survenu. “La gestion de Mazón a été indécente et il devrait démissionner. Le gouvernement valencien est responsable”, estime Julián García, retraité de 73 ans présent dans le cortège. Tandis que pour Ana de la Rosa, archiviste de 30 ans, “les guerres politiques” entre les deux dirigeants ont pris le pas sur l’aide aux citoyens. “Ils réclament justice” pour ce qu’elle qualifie d'”homicide involontaire”.
Des accusations de défaillances et d’amateurisme
Au cœur des critiques, la lenteur de réaction des autorités régionales malgré l’alerte rouge émise par l’agence météorologique dès le matin du 29 octobre. Le fait que Carlos Mazón se soit absenté plusieurs heures ce jour-là pour un “déjeuner de travail” alors que le comité d’urgence était déjà réuni passe aussi très mal. Tout comme le retard dans le déclenchement de l’alerte à la population, envoyée sur les téléphones portables dans la soirée seulement, alors que de nombreuses zones étaient déjà submergées.
Face à ces errements, le gouvernement central de Pedro Sánchez est aussi pointé du doigt pour ne pas avoir repris la main sur les opérations malgré la gravité de la situation. Selon des sources gouvernementales, l’exécutif aurait agi “de mauvaise foi” en laissant la région sombrer par calcul politique. Des accusations balayées par Madrid, qui affirme avoir fourni tous les moyens possibles dans le cadre institutionnel en vigueur, rappelant qu’en Espagne, les régions sont en première ligne pour gérer ce type de crise.
L’élan de solidarité des citoyens, seul motif d’espoir
Dans ce contexte de défiance généralisée envers les autorités, un slogan revient comme un mantra dans les conversations et sur les pancartes des manifestants à Valence : “Solo el pueblo salva el pueblo” (“Seul le peuple sauve le peuple”). Une référence à l’élan de solidarité et d’entraide qui s’est spontanément mis en place parmi les citoyens pour pallier les carences de l’État. Partout dans les zones sinistrées, des initiatives locales ont vu le jour pour distribuer des vivres, héberger les évacués ou organiser le nettoyage des décombres.
Cet esprit de résilience et cette mobilisation transpartisane constituent le seul véritable motif d’espoir pour les victimes. Car si la polémique enfle sur les responsabilités de chacun, le bilan humain ne cesse de s’alourdir. Les opérations de recherche des disparus, concentrées autour d’Albufeira et de la lagune de Valence, se poursuivent. Des dizaines de personnes manquent toujours à l’appel selon le tribunal régional.
Une catastrophe qui réinterroge la gestion des risques naturels
Au-delà des erreurs et des défaillances pointées dans la gestion de crise, ces inondations meurtrières interrogent plus largement sur l’état de préparation de l’Espagne face aux catastrophes naturelles, dans un contexte de dérèglement climatique. Selon des experts, les épisodes météorologiques extrêmes comme celui-là sont amenés à se multiplier et à gagner en intensité dans les prochaines années. Un défi colossal pour les autorités comme pour les populations.
“Il faudra en tirer toutes les leçons et revoir notre doctrine en matière de gestion des risques”, a admis le ministre de l’Intérieur Fernando Grande-Marlaska. Mais dans l’immédiat, l’heure est au recueillement pour les victimes et au difficile retour à la normale pour les sinistrés. Les images d’un pays meurtri et en colère resteront longtemps dans les mémoires.
La mobilisation historique de ce samedi à Valence et dans d’autres villes montre que les plaies sont loin d’être refermées, et que les Espagnols attendent de leurs dirigeants des réponses et des actes forts. Le chemin de la reconstruction, matérielle comme politique, s’annonce long et ardu. Mais la tragédie aura au moins eu le mérite de révéler la force du peuple espagnol lorsqu’il est uni et solidaire face à l’adversité. Une lueur d’espoir dans ces heures sombres.