Imaginez rentrer chez vous après cinq jours d’exil forcé et découvrir que votre maison est devenue un lac de boue. C’est exactement ce qu’a vécu Soma Wanniarachchi, 69 ans, quand elle a osé pousser la porte de son domicile à Angoda, dans la banlieue nord-est de Colombo. Ce qu’elle a vu l’a littéralement paralysée.
Le cyclone Ditwah laisse derrière lui un pays à genoux
Depuis la nuit du vendredi au samedi, le fleuve Kelani a rompu ses digues sous la violence des pluies torrentielles. En quelques heures, des quartiers entiers se sont retrouvés sous plus de deux mètres et demi d’eau. Aujourd’hui, la décrue progressive dévoile l’ampleur du désastre.
Le dernier bilan officiel fait état d’au moins 474 morts et près de 400 disparus. Plus d’1,5 million de personnes sont sinistrées à travers l’île. C’est la catastrophe naturelle la plus meurtrière depuis le tsunami de 2004.
Quand l’eau monte jusqu’à 2,50 mètres en pleine nuit
Soma se souvient parfaitement de la montée des eaux. « J’ai tenu jusqu’au lever du jour parce que je sais nager », raconte-t-elle d’une voix calme, presque détachée. Mais quand le niveau a dépassé les 2,50 mètres, elle n’a plus eu le choix : il a fallu fuir.
« Au moins trois buffets ont disparu. Tous mes ustensiles en acier inoxydable ont probablement rejoint l’océan Indien… »
Soma Wanniarachchi, 69 ans, commerçante
Son activité – la location de batteries de chauffe-plats et de marmites pour les mariages et les fêtes – a été littéralement emportée. Des dizaines de chaises en plastique flottent encore quelque part entre Colombo et l’océan.
Angoda : un quartier transformé en marécage
À quelques rues de là, Sanjaya Tissara, 31 ans, professeur d’informatique le jour et commerçant le soir, contemple sa maison de deux étages recouverte d’une épaisse couche de gadoue visqueuse. L’eau est montée bien plus haut qu’en 2016, année déjà marquée par une crue historique.
« En 2016, on avait un bon mètre. Cette fois, presque deux mètres », précise-t-il en grattant la boue séchée sur les murs. Il a pu sauver une partie de son stock de composants électroniques en les hissant à l’étage, mais le reste est irrécupérable.
La solidarité s’organise dans la boue
Partout dans le quartier, le même spectacle : des habitants aux jambes couvertes de boue, balai ou pelle à la main, tentent de récupérer ce qui peut encore l’être. Les plus chanceux ont reçu l’aide de proches. Les autres comptent sur les volontaires et les militaires qui sillonnent les rues avec des camions de nourriture.
R.M.V. Latih, 51 ans, employé dans une compagnie pétrolière, a demandé à quelques cousins de venir prêter main-forte. « Impossible de tout nettoyer seul », lâche-t-il entre deux pelletées. Sa cuisine est particulièrement touchée : meubles renversés, frigo couché, placards éventrés.
« On a sauvé quelques meubles en les montant à l’étage, mais la cuisine… c’est un sacré foutoir. »
R.M.V. Latih, sinistré d’Angoda
Un pays déjà fragilisé par la crise économique
Le Sri Lanka sort à peine de la pire crise économique de son histoire en 2022. Les caisses de l’État sont vides, la dette colossale. Pourtant, il va falloir trouver entre 6 et 7 milliards de dollars pour reconstruire. Une somme astronomique pour un pays de 22 millions d’habitants.
Le gouvernement a promis 25 000 roupies (environ 75 euros) par famille touchée. Une aide bienvenue, mais dérisoire face à l’ampleur des pertes. Beaucoup savent déjà que la reconstruction prendra des années.
Les souvenirs douloureux de 2016 refont surface
Pour les habitants du nord-est de Colombo, cette nouvelle catastrophe ravive des souvenirs encore douloureux. En mai 2016, le débordement du Kelani avait déjà fait 71 morts et des dizaines de milliers de sinistrés. À l’époque, nombreux étaient ceux qui avaient juré « plus jamais ».
Nine ans plus tard, le fleuve a frappé encore plus fort. Les digues, pourtant renforcées après 2016, n’ont pas résisté à la puissance du cyclone Ditwah.
Le long chemin de la reconstruction
Aujourd’hui, chaque pelletée de boue enlevée est une petite victoire. Les écoles restent fermées, les commerces sinistrés, les routes encore impraticables par endroits. Mais dans les regards, on lit aussi une forme de résilience tranquille.
Les habitants d’Angoda et des autres quartiers touchés savent que le plus dur reste à venir : reconstruire non seulement leurs maisons, mais toute une vie emportée en une seule nuit d’orage.
Et pendant que l’eau continue doucement de se retirer vers l’océan Indien, emportant avec elle les derniers espoirs de retrouver certains objets, une seule certitude demeure : le Sri Lanka se relèvera. Comme toujours.









