Imaginez faire la queue six heures sous un soleil écrasant, simplement pour remplir un bidon d’eau ou obtenir un sac de riz. À Sibolga, sur la côte ouest de Sumatra, cette scène est devenue le quotidien de milliers d’habitants depuis que des inondations et glissements de terrain ont ravagé la région. Ce n’est plus seulement une catastrophe naturelle : c’est une lutte pour la survie.
Sumatra sous le choc : une ville presque oubliée du monde
Près de 800 personnes ont perdu la vie dans les inondations et glissements de terrain qui ont frappé l’île ces derniers jours. Des maisons ensevelies, des ponts emportés, des routes littéralement effacées. Sibolga, port habituellement animé, s’est retrouvé subitement isolé. Les accès sont détruits, les lignes électriques coupées, les réserves s’épuisent à vue d’œil.
Ceux qui ont la chance d’atteindre encore la ville se pressent devant le seul entrepôt encore approvisionné, celui de l’entreprise publique Bulog. Hommes, femmes, enfants : tout le monde attend, parfois depuis l’aube, dans une chaleur suffocante.
« Il n’y a plus rien à manger »
Nur Apsyah, 28 ans, se tient là avec ses parents. Elle fait partie des « chanceux » qui ont pu repartir avec un peu de riz. « On n’avait jamais vu ça ici », confie-t-elle, la voix lasse. « Plus de nourriture, plus d’argent, plus de travail… Comment va-t-on faire pour manger ? »
Des gens qui n’auraient jamais dû le faire ont fini par piller des supérettes. Pas par plaisir. Par désespoir.
Nur Apsyah, habitante de Sibolga
Les pillages, rares mais réels, témoignent de l’extrême tension. Quand les rayons sont vides depuis des jours et que l’aide tarde, la peur prend le dessus.
Des files interminables et des doigts marqués à l’encre
Pour éviter les doubles distributions, les autorités ont mis en place un système simple mais implacable : on trempe le doigt dans l’encre indélébile après avoir reçu son sac. Les hommes chargent les 50 kilos de riz sur leur dos, les femmes les posent sur leur tête. Une procession silencieuse et digne sous l’œil des militaires qui maintiennent difficilement l’ordre.
Devant les rares pompes à essence encore fonctionnelles, c’est le même spectacle. Six heures d’attente pour quelques litres. Et demain, il faudra recommencer.
L’eau, cette nouvelle denrée rare
Sopian Hadi, 30 ans, propriétaire d’une petite épicerie aujourd’hui fermée, remplit des bidons au siège de la compagnie municipale des eaux. Depuis une semaine, plus une goutte ne coule chez lui. « L’eau, c’est la vie », répète-t-il en regardant la file qui s’allonge derrière lui.
Il refuse pourtant de baisser les bras. « On ne peut pas se permettre de désespérer quand il s’agit de survivre », dit-il avec une détermination calme qui force le respect.
Une ville à l’arrêt, entre générateurs et rayons vides
La plupart des magasins sont fermés, plongés dans le noir faute d’électricité. Les quelques-uns encore ouverts tournent grâce à des générateurs qui ronronnent jour et nuit. Mais même avec de l’argent en poche, il n’y a presque plus rien à acheter.
Sahmila Pasaribu, 55 ans, erre d’une boutique à l’autre. « C’est triste… Du jour au lendemain, plus de riz, plus d’huile, plus de carburant. Tout est devenu rare », soupire-t-elle. Son regard perdu dit toute la brutalité du choc.
Les autorités mobilisées, mais le temps presse
Le ministre chargé de la Coordination du Développement humain et de la Culture a annoncé que la distribution de riz faisait partie des mesures pour « alléger le fardeau de la population ». Des hélicoptères ont commencé à acheminer de l’aide dans les zones totalement inaccessibles. Mais à Sibolga, chaque sac distribué semble une goutte d’eau dans un océan de besoins.
Et surtout, les prévisions météo ne laissent aucun répit : de nouvelles pluies abondantes sont attendues dans les prochains jours. Le spectre de nouvelles inondations plane déjà.
Une résilience qui impressionne
Dans ce chaos, ce qui frappe, c’est la dignité des habitants. Personne ne crie, personne ne se bat vraiment. On attend. On espère. On se serre les coudes. Les soldats eux-mêmes, épuisés par la chaleur, partagent parfois leur propre eau avec les plus faibles.
Cette solidarité discrète, presque muette, est peut-être la plus belle réponse à la catastrophe. Elle montre que même quand tout s’effondre, l’humain trouve encore la force de tenir debout.
Et après ?
Reconstruire les routes prendra des semaines, voire des mois. Réapprovisionner la ville, rétablir l’électricité, relancer l’économie locale : tout reste à faire. En attendant, chaque jour est une nouvelle épreuve.
Les habitants de Sibolga et des environs n’ont pas choisi cette épreuve. Ils la subissent avec une force tranquille qui mérite d’être saluée. Leur histoire est celle de milliers de communautés à travers le monde qui, face aux catastrophes climatiques de plus en plus violentes, doivent apprendre à survivre dans l’urgence.
Au moment où ces lignes sont écrites, les files d’attente continuent. Les sacs de riz diminuent. Et la pluie menace à nouveau. Mais dans les regards, on lit encore et toujours la même détermination : tenir. Coûte que coûte.
À retenir : Près de 800 morts, des milliers de sinistrés, une ville portuaire coupée du monde et des habitants qui refusent de céder au désespoir. Sumatra nous rappelle brutalement que derrière les chiffres des catastrophes naturelles, il y a toujours des visages, des familles, des vies suspendues à un sac de riz et à un bidon d’eau.
Le monde regardera ailleurs dans quelques jours. Eux resteront. Avec leurs souvenirs, leurs pertes, et cette incroyable capacité à continuer malgré tout.









