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Inondations à Sumatra : Pourquoi Jakarta Refuse l’État de Catastrophe

800 morts, 650 disparus, des villages entiers rayés de la carte à Sumatra. Tout le monde réclame l’état de catastrophe nationale… sauf le gouvernement. Mais pourquoi Jakarta refuse-t-il catégoriquement cette mesure pourtant vitale ? La réponse va vous surprendre.

Imaginez un village entier englouti en quelques heures. Des maisons arrachées comme des frites dans un torrent de boue, des routes qui n’existent plus, des familles qui n’ont plus rien à manger à part quelques paquets de nouilles détrempés. C’est la réalité que vivent des centaines de milliers d’Indonésiens à Sumatra depuis plusieurs semaines. Et pourtant, malgré un bilan qui dépasse déjà les 800 morts et 650 disparus, le gouvernement refuse toujours de déclarer l’état de catastrophe nationale.

Une catastrophe hors normes qui rappelle les pires souvenirs

Dans la province d’Aceh, déjà marquée à jamais par le tsunami de 2004, certains habitants n’hésitent pas à faire la comparaison. Un député local va même plus loin : pour lui, les dégâts actuels sur les infrastructures dépassent ceux du tsunami qui avait pourtant fait plus de 170 000 morts rien qu’en Indonésie.

Des ponts centenaires emportés, des routes coupées sur des centaines de kilomètres, des villages inaccessibles même en hélicoptère : le tableau est apocalyptique. Et le pire, c’est que les secours peinent à arriver là où on en a le plus besoin.

Pourquoi l’état de catastrophe nationale changerait tout

En Indonésie, cette mesure extrême n’a été prise que trois fois dans l’histoire récente : lors du tremblement de terre de Flores en 1992, après le tsunami de 2004 et pendant la pandémie de Covid-19. Déclarer l’état de catastrophe nationale, c’est ouvrir grand les vannes.

Concrètement, cela permettrait :

  • de mobiliser l’armée à grande échelle sans contraintes budgétaires immédiates
  • d’accepter officiellement l’aide internationale (ce qui n’est pas anodin pour la fierté nationale)
  • de réallouer instantanément des fonds d’autres programmes vers les secours
  • de coordonner tous les acteurs sous une seule autorité

Pour les ONG et les élus locaux, c’est LA solution pour sauver des vies. Amnesty International Indonésie parle d’une « urgence absolue » pour que « les forces nationales et étrangères puissent être mobilisées sans entraves ».

« Dès le début, j’ai affirmé qu’il fallait déclarer l’état de catastrophe nationale »

Abdul Khalid, député d’Aceh

La position officielle : « On gère très bien tout seuls »

Du côté du pouvoir, on répète inlassable que tout est sous contrôle. Le directeur de l’agence nationale de gestion des catastrophes assure que le président Prabowo Subianto a déjà « mobilisé une aide massive ». Hélicoptères, navires militaires, 34 000 tonnes de riz, 6,8 millions de litres d’huile de cuisson : les chiffres impressionnent.

Le ministre des Finances ajoute que les caisses sont pleines et que des crédits supplémentaires seront débloqués « si nécessaire ». En résumé : pas besoin de crier au loup, l’Indonésie est un grand pays qui sait gérer ses affaires.

Mais sur le terrain, la réalité est tout autre.

Sur place, des sinistrés abandonnés à leur sort

Eli Ani, 46 ans, a fui son village de Nisam avec ses enfants. Installée dans un abri de fortune, elle raconte :

« Aucune aide n’est parvenue jusqu’à nous. Nous survivons avec du pain, de l’eau et des nouilles instantanées. On se débrouille seuls. »

Et elle est loin d’être un cas isolé. Dans de nombreuses zones, le carburant manque, l’électricité est coupée, les réseaux téléphoniques ne passent plus. Même les travailleurs humanitaires, pourtant habitués aux catastrophes dans ce pays archipel aux 17 000 îles, parlent d’opérations « exceptionnellement difficiles ».

Les vraies raisons d’un refus qui intrigue

Alors pourquoi ce blocage ? Les analystes sont unanimes : c’est avant tout une question d’image et d’argent.

Déclarer l’état de catastrophe nationale, c’est reconnaître publiquement une forme d’impuissance. Dans un pays où la souveraineté et la capacité d’autonomie sont des valeurs fortes, c’est un aveu difficile à assumer pour le nouveau président Prabowo Subianto, élu il y a tout juste un an.

Mais il y a plus concret. Comme l’explique Arifki Chaniago, analyste politique :

« Cela deviendrait un sujet qui inquiéterait les investisseurs. Le gouvernement ne veut surtout pas donner l’impression qu’il est incapable de gérer la situation. »

En clair : afficher une crise majeure pourrait faire fuir les capitaux étrangers dont l’Indonésie a tant besoin pour ses méga-projets (nouvelle capitale Nusantara, repas scolaires gratuits, etc.).

Autre crainte : devoir piocher dans les budgets déjà alloués à ces programmes phares. Car oui, l’argent débloqué pour les inondations ne tomberait pas du ciel : il faudrait le prendre ailleurs.

Le précédent du Sri Lanka qui fait réfléchir

À quelques milliers de kilomètres, le Sri Lanka a fait exactement l’inverse. Face à des inondations proportionnellement plus graves, Colombo a immédiatement déclaré l’état d’urgence et lancé un appel clair à la communauté internationale.

Résultat ? L’aide arrive déjà en masse. Un contraste saisissant avec l’attitude indonésienne qui préfère, pour l’instant, gérer en famille.

Vers un changement de position forcé ?

La pression monte de partout. Élus locaux, ONG, survivants, et même une partie de l’opinion publique commencent à gronder. Chaque jour qui passe sans déclaration officielle, ce sont des vies qui restent en danger.

Le gouvernement joue clairement la montre. Mais jusqu’à quand pourra-t-il tenir face à des images de plus en plus insoutenables et à un bilan humain qui continue, hélas, de s’alourdir ?

Une chose est sûre : à Sumatra, on ne parle plus seulement de gestion de crise. On parle de choix politiques qui pèsent lourd sur la vie de centaines de milliers de personnes. Et l’histoire, elle, n’oubliera pas qui a décidé de regarder ailleurs quand l’eau montait.

À retenir : L’Indonésie fait face à l’une des pires catastrophes naturelles de son histoire récente, mais refuse pour l’instant de déclarer l’état de catastrophe nationale. Un choix motivé par des considérations d’image, économiques et politiques… au risque de coûter encore plus de vies humaines.

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