Imaginez une pluie qui tombe comme chaque année avec la mousson. Rien d’exceptionnel. Et pourtant, en quelques heures, des villages entiers disparaissent sous des torrents de boue, des familles sont ensevelies vivantes, et le bilan grimpe à plus de 680 morts. Ce cauchemar n’est pas seulement climatique : il porte un nom précis, déforestation.
Quand la forêt n’est plus là pour retenir l’eau
Les forêts tropicales agissent comme d’immenses éponges naturelles. Leurs feuillages interceptent une partie des précipitations avant même qu’elles touchent le sol. Leurs racines, véritable réseau vivant, retiennent la terre et ralentissent l’écoulement de l’eau vers les rivières.
Lorsque ces forêts disparaissent, l’eau de pluie ruisselle immédiatement sur une terre nue, compactée, incapable de l’absorber. Le résultat ? Des crues éclair d’une violence extrême et des glissements de terrain qui emportent tout sur leur passage.
« Les forêts en amont agissent comme une barrière protectrice, un peu comme une éponge. Quand elles sont rasées, l’eau arrive en masse et très vite dans les rivières. »
David Gaveau, fondateur de The TreeMap
Sumatra, l’île la plus touchée par la hache
En 2024, l’Indonésie a encore perdu plus de 240 000 hectares de forêt primaire – l’équivalent de plus de 300 000 terrains de football. Si ce chiffre est légèrement inférieur à l’année précédente, il reste dramatique.
Et c’est à Sumatra que la situation est la plus alarmante. Les bassins versants y sont petits et escarpés : sans couverture végétale, chaque averse se transforme rapidement en catastrophe.
Sur place, les images parlent d’elles-mêmes : des plages jonchées de troncs géants fraîchement coupés, charriés par les flots jusqu’à l’océan. Un spectacle qui laisse peu de place au doute.
Mines d’or, barrages et plantations : le trio infernal
Dans la région de Batang Toru, l’une des plus sinistrées, on ne compte plus les projets destructeurs. Une seule mine d’or a déjà rasé environ 300 hectares de forêt. Le chantier de la centrale hydroélectrique voisine en a fait disparaître 350 autres.
Ajoutez à cela des milliers d’hectares convertis en monocultures de palmiers à huile, et vous obtenez un paysage lunaire où plus rien ne retient ni l’eau ni la terre.
« Tout cela contribue à accroître notre vulnérabilité de façon dramatique. »
Uli Arta Siagian, ONG Walhi
Le gouvernement lui-même, par la voix du ministre des Forêts Raja Juli Antoni, reconnaît que « le pendule entre économie et écologie a trop penché du côté de l’économie ».
Un cercle vicieux bien connu des scientifiques
Lorsque la forêt disparaît, la terre est emportée vers les rivières. Les lits des cours d’eau se rehaussent, leur capacité diminue, et la moindre pluie devient dangereuse.
Herry Purnomo, directeur national du Centre de recherche forestière internationale, résume la situation en deux impératifs :
- Empêcher toute nouvelle déforestation
- Lancer un vaste programme de restauration des forêts dégradées
Sans ces deux actions combinées, les catastrophes d’aujourd’hui ne seront que l’avant-goût de celles de demain.
Même le président promet… mais tiendra-t-il parole ?
Face à l’ampleur du drame, le président Prabowo Subianto a déclaré qu’il fallait « absolument empêcher la déforestation et la destruction des forêts ». Des mots forts, prononcés quelques jours seulement après son investiture.
Mais les défenseurs de l’environnement attendent des actes. Car pendant des décennies, les promesses se sont succédé sans que les taux de déforestation ne baissent durablement.
Aujourd’hui, les inondations ont mis tout le monde face à une réalité brutale : protéger les forêts n’est plus une option écologique, c’est une question de survie.
Ce que nous apprennent ces torrents de boue
Cette catastrophe n’est pas un accident isolé. Elle illustre parfaitement le lien direct entre la destruction des écosystèmes et l’augmentation des risques naturels. Chaque arbre abattu en amont est un mort potentiel en aval.
Et l’Indonésie n’est pas seule. Bornéo, le Brésil, le Congo… partout où la forêt recule à marche forcée, les populations paient le prix fort.
La seule différence, c’est qu’à Sumatra, la facture vient d’être présentée avec une brutalité rarement égalée.
Il est encore temps d’agir. Mais plus la hache continuera de frapper, plus les prochaines factures seront salées.
Une forêt n’est pas seulement du bois. C’est un bouclier qui protège des millions de vies.
La prochaine fois qu’une pluie de mousson s’abattra sur Sumatra, espérons qu’il restera assez d’arbres pour retenir l’eau… et sauver ceux qui vivent en contrebas.









