Imaginez-vous réveillés à l’aube par le hurlement des réacteurs. Des ombres géantes traversent le ciel pacifique, portant en leur ventre la capacité de détruire des villes entières. C’est exactement ce qu’ont vécu, mardi, les systèmes radar japonais et sud-coréens : une flotte mixte russo-chinoise a littéralement tourné autour de leurs territoires.
Une opération conjointe d’une ampleur rare
Les faits sont simples, mais impressionnants. Deux bombardiers stratégiques russes Tu-95 Bear, ces monstres à hélices capables d’emporter des armes nucléaires, ont décollé depuis l’Extrême-Orient russe. Direction la mer du Japon, puis la mer de Chine orientale où les attendaient deux bombardiers chinois H-6, version modernisée du vieux Tupolev soviétique.
Une fois réunis, les quatre appareils ont effectué un vaste circuit autour de l’archipel japonais, longeant ses côtes sans jamais pénétrer l’espace aérien souverain, mais restant assez proches pour déclencher toutes les alarmes.
Tokyo parle ouvertement de « démonstration de force »
Le ministre japonais de la Défense, Shinjiro Koizumi, n’a pas mâché ses mots sur X : cette opération représente une démonstration de force contre notre nation. Des avions de chasse des Forces d’autodéfense aérienne ont immédiatement décollé pour escorter les intrus à distance respectable.
« Nous avons fait part à la Chine et à la Russie de nos graves préoccupations concernant notre sécurité nationale par la voie diplomatique »
Minoru Kihara, porte-parole du gouvernement japonais
Le timing n’est évidemment pas anodin. Quelques jours plus tôt, des chasseurs chinois avaient déjà verrouillé leurs radars de tir sur des appareils japonais au large d’Okinawa – un geste considéré comme extrêmement hostile dans le monde militaire.
Séoul également sur le pied de guerre
Plus au nord, la Corée du Sud a vécu la même surprise. Sept avions russes et deux chinois sont entrés dans sa Zone d’identification de défense aérienne (ADIZ), cette bulle de surveillance qui dépasse largement l’espace aérien national.
Aucun n’a franchi la frontière invisible de l’espace aérien souverain, mais l’état-major interarmées sud-coréen a tout de même dépêché des chasseurs en urgence.
Lee Kwang-suk, haut responsable du ministère de la Défense, a promis que l’armée continuera à répondre activement à ce type d’incursions, dans le strict respect du droit international.
Des exercices conjoints qui ne datent pas d’hier
Officiellement, Moscou et Pékin parlent d’un simple exercice aérien stratégique planifié de longue date. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois : depuis 2019, ces patrouilles communes se répètent périodiquement.
La dernière en date remontait à novembre 2024 avec onze appareils. Mais celle de cette semaine se distingue par son ampleur et surtout par son contexte géopolitique particulièrement tendu.
Chronologie des incidents récents dans la région
- Début novembre : déclarations japonaises suggérant une possible intervention militaire en cas d’attaque contre Taïwan
- Samedi précédent : deux verrouillages radar chinois sur avions japonais près d’Okinawa
- Mardi : patrouille conjointe russo-chinoise de grande ampleur
- Mercredi : protestations diplomatiques officielles de Tokyo et Séoul
Pourquoi maintenant ? Le facteur Taïwan
Le déclencheur semble clair. Début novembre, la Première ministre japonaise Sanae Takaichi a publiquement évoqué la possibilité pour Tokyo d’intervenir militairement si Taïwan était attaqué. Des propos qui ont fait bondir Pékin, pour qui l’île fait partie intégrante de son territoire.
En réponse, la Chine et Russie, alliées de circonstance mais de plus en plus soudées, envoient un message sans ambiguïté : toute escalade autour de Taïwan aura des conséquences régionales immédiates.
Le choix des Tu-95 n’est pas innocent non plus. Ces bombardiers, héritage de la Guerre froide, restent aujourd’hui les vecteurs principaux des missiles de croisière nucléaires russes. Leur simple présence suffit à faire monter la tension de plusieurs crans.
Une coopération militaire sino-russe qui s’intensifie
Depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2022, Moscou et Pékin ont multiplié les gestes d’amitié militaire. Exercices navals conjoints dans le Pacifique, ventes d’armes, partage de technologies… l’axe s’est considérablement renforcé.
Ces patrouilles aériennes constituent le visage le plus visible de cette nouvelle proximité. Elles permettent aux deux armées de tester leurs procédures, d’envoyer des signaux politiques forts et, accessoirement, de collecter un maximum d’informations sur les réactions adverses.
Pour Washington, allié militaire du Japon et de la Corée du Sud, c’est un casse-tête permanent. Toute riposte trop ferme risquerait d’enflammer la région ; toute passivité serait perçue comme un aveu de faiblesse.
Et demain ?
Rien n’indique que ces incidents vont cesser. Au contraire, tous les experts s’attendent à une multiplication de ces « visites de courtoisie » aériennes dans les mois à venir.
La mer de Chine orientale et la mer du Japon risquent de devenir un terrain d’entraînement permanent pour les grandes puissances, avec les populations locales comme spectateurs inquiets d’un jeu dangereux dont personne ne maîtrise totalement les règles.
Une chose est sûre : le ciel d’Asie du Nord-Est n’a jamais été aussi chargé de tensions depuis la fin de la Guerre froide. Et chaque nouveau survol nous rapproche un peu plus du moment où un mauvais calcul pourrait transformer l’exercice en confrontation ouverte.
À suivre, donc. Très attentivement.









