C’est un procès hors normes qui s’est tenu à huis clos vendredi à Bourg-en-Bresse. Sur le banc des accusés, un grand-père de 73 ans, jugé pour viols et agressions sexuelles sur sa petite-fille et deux de ses cousines. Un dossier emblématique de la lutte contre l’inceste en France, car c’est grâce à une boîte aux lettres “Papillons”, installée dans l’école de la fillette, que l’affaire a éclaté au grand jour.
Les boîtes aux lettres “Papillons” : briser le silence
Imaginées par l’association Les Papillons, ces boîtes aux lettres pas comme les autres ont un objectif clair : libérer la parole des enfants victimes de violences. Installées dans les écoles, les centres de loisirs ou encore les clubs sportifs, elles permettent aux jeunes de déposer un message, de façon anonyme, pour signaler une situation de maltraitance ou d’abus sexuels.
Un dispositif innovant qui porte ses fruits, comme en témoigne ce procès. Car c’est bien un petit mot glissé par la fillette, alors âgée de 10 ans, qui a permis de révéler l’horreur qu’elle subissait depuis deux ans. Un appel au secours poignant, écrit de sa main enfantine : “Il me toucher la parti du bas et la parti du haut et aussi il métait sa partie du bas dans ma parti du bas et moi j’ai essayé de menlever mais il voulait pas”.
Un procès à huis clos pour protéger les victimes
Face à la gravité des faits et pour préserver les victimes, encore mineures, la cour criminelle de l’Ain a décidé d’imposer le huis clos. Une décision saluée par les avocats de la défense, mais décriée par les parties civiles qui y voient “une première victoire pour l’accusé”. Car pour ces jeunes filles brisées, ce procès était l’occasion tant attendue de porter leur parole, de raconter leur calvaire et d’être enfin entendues.
Ça fait deux ans qu’on se bat pour que tout soit dit, pour que rien ne soit caché aux gens.
Le beau-père de la fillette qui a brisé le silence
L’ampleur de l’inceste en France
Si ce procès met en lumière le courage des victimes, il révèle aussi l’étendue du fléau de l’inceste dans notre pays. Selon les derniers chiffres de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), 160 000 enfants seraient victimes de violences sexuelles chaque année en France. Un chiffre glaçant, qui ne serait en réalité que la partie émergée de l’iceberg.
Car l’inceste, par définition, se joue dans le cercle familial, à l’abri des regards. Les victimes, souvent très jeunes, sont sous l’emprise de leur agresseur. Menacées, culpabilisées, elles n’osent pas parler, de peur de briser leur famille. Un engrenage infernal dont il est difficile de s’extraire, comme l’explique la grand-mère des fillettes, elle-même en instance de divorce :
Je n’ai jamais rien su des agissements de mon mari, que j’ai qualifié de “monstre”.
La grand-mère des victimes
Un long combat à mener
Face à ce constat alarmant, les associations se mobilisent pour briser l’omerta qui entoure l’inceste. Outre les boîtes aux lettres “Papillons”, de nombreuses initiatives voient le jour pour sensibiliser le grand public et accompagner les victimes dans leur reconstruction. Des numéros d’écoute, des groupes de parole, des campagnes choc… Les outils ne manquent pas, mais le chemin est encore long.
Car au-delà de la libération de la parole, c’est tout un système qu’il faut repenser. Mieux former les professionnels (enseignants, médecins, policiers…) au repérage des signaux faibles. Renforcer les moyens de la justice pour traiter ces dossiers sensibles. Durcir les sanctions contre les agresseurs. Autant de chantiers essentiels pour mieux protéger les enfants et briser le cycle infernal de l’inceste.
Ce procès à Bourg-en-Bresse n’est qu’une étape, mais il envoie un signal fort. Celui d’une société qui ne veut plus fermer les yeux sur ces crimes odieux commis sur les plus vulnérables. Celui d’une justice déterminée à faire la lumière sur ces affaires, aussi complexes soient-elles. Celui de victimes courageuses, prêtes à affronter leurs bourreaux pour que, peut-être, d’autres enfants soient épargnés.
La route est encore longue, semée d’embûches et de douleurs. Mais à l’image de cette petite fille de 10 ans qui a osé glisser un mot dans une boîte aux lettres, chaque geste compte. Chaque parole libérée est une victoire contre l’inceste. Et c’est ainsi, mot après mot, procès après procès, que nous pourrons, ensemble, faire reculer ce fléau qui gangrène notre société depuis trop longtemps.