Alors que le nombre total de nouvelles incarcérations reste stable en Suisse, la proportion de détenus étrangers ne cesse d’augmenter pour atteindre un nouveau record en 2023. Un constat qui ravive le débat sur les liens entre immigration et délinquance, et questionne l’efficacité des politiques d’intégration et de réinsertion.
67% d’étrangers derrière les barreaux
Selon les derniers chiffres publiés par l’Office fédéral de la statistique, sur les 9297 personnes ayant débuté une peine de prison en Suisse en 2023, plus de deux tiers étaient de nationalité étrangère. Un taux en hausse quasi-constante depuis les années 1980, où il n’était que d’environ 20%.
Cette surreprésentation des étrangers dans la population carcérale interpelle, alors même que leur part dans la population totale n’est que de 25%. Si les hommes constituent toujours l’écrasante majorité des détenus (90,6%), la part des femmes tend à augmenter sur le long terme pour atteindre 9,4% en 2023.
Immigration et criminalité : un lien complexe
Ces statistiques ne manquent pas de relancer le débat sensible sur les relations entre immigration et délinquance. Pour certains, ces chiffres démontreraient une propension plus élevée des étrangers à commettre des délits. Une thèse battue en brèche par de nombreux experts :
La nationalité n’est pas en soi un facteur criminogène. D’autres paramètres comme la précarité socio-économique, les difficultés d’intégration ou encore les discriminations jouent un rôle bien plus déterminant.
Martin Killias, criminologue
De fait, de nombreuses études tendent à montrer que, à situation sociale égale, le taux de criminalité des populations immigrées n’est pas significativement différent de celui des nationaux. La surreprésentation des étrangers en prison refléterait donc avant tout leur vulnérabilité socio-économique.
Des prisons surpeuplées
Quelles qu’en soient les causes, cette proportion élevée de détenus étrangers pose de sérieux défis au système carcéral helvétique. Avec un taux d’occupation moyen de 93%, les prisons suisses sont proches de la saturation. Une surpopulation qui tend à exacerber les tensions, complique la prise en charge et entrave les efforts de réinsertion.
Face à cette situation, les autorités tentent de développer des programmes spécifiques destinés aux détenus étrangers : cours de langues, formations professionnelles, préparation au retour… Mais ces initiatives se heurtent souvent à des moyens insuffisants et à la barrière de la langue.
Repenser la politique pénale et migratoire ?
Au-delà de la gestion de la détention, c’est toute la politique pénale et migratoire qui est questionnée. Pour de nombreux observateurs, il est urgent de développer des alternatives à l’incarcération pour les délits mineurs, et de renforcer massivement les moyens alloués à l’intégration des populations étrangères.
La prison ne doit être qu’un ultime recours. Nous devons avant tout miser sur la prévention, l’accompagnement social et l’accès à l’emploi et à la formation, en particulier pour les jeunes issus de l’immigration.
Une source proche du Département fédéral de justice et police
Un vaste chantier qui nécessitera une volonté politique forte et des investissements conséquents. Faute de quoi, la Suisse risque de voir sa population carcérale continuer à gonfler, avec son lot de drames humains et de coûts sociaux. Un enjeu majeur pour la cohésion du pays.