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Immigration : Londres et Copenhague Veulent Réformer la CEDH

Keir Starmer et Mette Frederiksen, deux dirigeants de gauche, viennent de signer une tribune choc : la Convention européenne des droits de l’homme doit être réformée pour stopper l’immigration illégale. Mais jusqu’où sont-ils prêts à aller ? La réponse risque de secouer l’Europe entière…

Et si la plus grande barrière à la maîtrise de l’immigration en Europe n’était pas politique, mais juridique ?

Cette question, longtemps réservée aux cercles conservateurs, vient brutalement d’entrer dans le débat public par la grande porte : deux dirigeants sociaux-démocrates, le Britannique Keir Starmer et la Danoise Mette Frederiksen, appellent ouvertement à réformer l’interprétation de la Convention européenne des droits de l’homme.

Une tribune commune qui fait l’effet d’une bombe

Mardi, les deux chefs de gouvernement ont publié une tribune conjointe dans un grand quotidien britannique. Le timing n’est pas anodin : elle paraît à la veille d’une réunion informelle des ministres de la Justice des 46 États signataires de la Convention, réunion entièrement consacrée à l’immigration et au rôle de ce texte fondateur.

Le message est clair, net, presque brutal pour des leaders de gauche : le système d’asile actuel « a été créé pour une autre époque » et « dans un monde de mobilité massive, les réponses d’hier ne fonctionnent pas ».

« Nous protégerons toujours ceux qui fuient la guerre et la terreur, mais le monde a changé et les systèmes d’asile doivent également changer. »

Keir Starmer et Mette Frederiksen

Pourquoi maintenant ?

Le contexte européen est explosif. Les traversées illégales de la Manche ont atteint des records cet été. Le Danemark, pionnier du durcissement migratoire depuis 2015, fait figure de modèle pour beaucoup de gouvernements dépassés.

Au Royaume-Uni, même le gouvernement travailliste fraîchement élu se heurte chaque jour à la réalité : des juges de Strasbourg bloquent ou ralentissent des expulsions pourtant validées par les tribunaux britanniques. La frustration est telle que le parti Reform UK et une partie des conservateurs réclament une sortie pure et simple de la Convention.

Keir Starmer refuse cette option radicale, mais il reconnaît le problème. Son gouvernement a annoncé le mois dernier vouloir « réduire le champ d’application » de la CEDH en matière d’asile et négocier une réforme avec les autres États signataires.

Que proposent exactement les deux dirigeants ?

Ils parlent d’une « modernisation de l’interprétation » de la Convention dans les droits nationaux. En langage clair : faire évoluer la jurisprudence pour qu’elle reste compatible avec la lutte contre l’immigration irrégulière tout en préservant les principes fondamentaux.

Ils affirment même que c’est là « le meilleur moyen de lutter contre les forces de la haine et de la division », sous-entendu : si les États démocratiques ne reprennent pas la main, les extrêmes droites continueront de prospérer sur le sentiment d’impuissance.

En résumé, leurs arguments clés :

  • Le texte date de 1950, conçu dans un monde sans migration de masse ni passeurs organisés
  • Les interprétations actuelles empêchent parfois d’expulser des personnes condamnées ou représentant une menace
  • Une réforme contrôlée éviterait des sorties unilatérales et un affaiblissement général des droits humains
  • Il faut distinguer clairement protection des vrais réfugiés et immigration économique déguisée

La CEDH, un texte sacré devenu encombrant ?

Signée en 1950 sous l’égide du Conseil de l’Europe, la Convention européenne des droits de l’homme est souvent présentée comme la colonne vertébrale juridique du continent. Elle a permis des avancées historiques : abolition de la peine de mort, protection des minorités, droit à un procès équitable…

Mais certains articles, notamment l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) et l’article 8 (droit à la vie familiale), sont aujourd’hui invoqués massivement dans les recours contre les expulsions. Résultat : des criminels étrangers ou des déboutés du droit d’asile restent parfois sur le sol européen pour des raisons jugées excessives par une partie de l’opinion.

Le Royaume-Uni en a fait l’expérience douloureuse avec l’affaire de l’avion pour le Rwanda bloqué in extremis par un juge de Strasbourg en 2022. Le Danemark, lui, a déjà externalisé une partie de sa procédure d’asile au Rwanda (accord toujours en attente d’application).

Une position qui transcende les clivages gauche-droite

Ce qui frappe, c’est la convergence. Mette Frederiksen dirige les sociaux-démocrates danois depuis 2015 et a imposé une politique parmi les plus restrictives d’Europe : confiscation des biens des migrants, baisse drastique des quotas, centres d’asile hors UE…

Keir Starmer, arrivé au pouvoir en juillet 2024, promettait initialement une approche plus humaine. Pourtant, face à la réalité des 30 000 traversées annuelles de la Manche, il a dû durcir le ton et accepter l’idée que le cadre juridique actuel est un frein.

Leur alliance montre que la question migratoire n’est plus seulement l’apanage de la droite ou de l’extrême droite. Elle devient une préoccupation transversale.

Quelles chances de succès pour cette réforme ?

La voie est étroite. Modifier la Convention elle-même nécessite l’unanimité des 46 États, mission quasi impossible. En revanche, changer son interprétation par la Cour ou négocier des protocoles additionnels est théoriquement envisageable.

Certains pays comme la Pologne ou la Hongrie, déjà en conflit ouvert avec Strasbourg, pourraient saisir l’occasion pour obtenir des concessions. D’autres, comme la France ou l’Allemagne, restent très attachés au texte dans sa forme actuelle.

La réunion informelle de Strasbourg cette semaine sera un premier test. Les ministres de la Justice vont discuter du sujet pour la première fois à huis clos. Les fuites devraient être nombreuses dans les jours qui viennent.

Et après ?

Si rien ne bouge, le risque est réel de voir plusieurs pays claquer la porte de la Convention, comme le Royaume-Uni l’a déjà envisagé sous les gouvernements conservateurs. Une sortie britannique serait un séisme : premier pays fondateur à quitter le système qu’il a lui-même contribué à créer.

À l’inverse, une réforme réussie pourrait redonner de l’air aux gouvernements modérés et couper l’herbe sous le pied des populistes. C’est tout l’enjeu de la démarche Starmer-Frederiksen.

L’Europe est à un tournant. Soit elle adapte ses grands principes à la réalité du XXIe siècle, soit elle risque de voir ses fondations mêmes remises en cause. Les prochains mois diront qui a raison.

Une chose est sûre : le débat sur l’équilibre entre souveraineté et droits humains universels ne fait que commencer.

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