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Îles Cook : Le Paradis du Pacifique au Cœur des Sanctions

Dans un petit bureau à côté d’une pizzeria sur une plage paradisiaque des Îles Cook, on enregistre des pétroliers qui transportent le pétrole russe et iranien malgré toutes les sanctions occidentales. Comment 15 000 habitants sont-ils devenus un maillon essentiel de la « flotte fantôme » ? Vous n’allez pas en revenir…

Imaginez une plage de sable blanc, des cocotiers, une pizzeria qui sent bon l’ail et, à deux pas, un petit bureau sans prétention. C’est là, dans ce décor de carte postale, que bat le cœur d’une des plus grandes zones grises du commerce pétrolier mondial.

Les Îles Cook, pavillon de complaisance nouvelle génération

Avec seulement 15 000 habitants répartis sur quinze atolls, les Îles Cook n’ont ni armée, ni raffinerie, ni même de port en eau profonde. Pourtant, leur pavillon étoilé flotte sur des centaines de navires marchands à travers le globe, et surtout sur une partie non négligeable de la « flotte fantôme » qui transporte le pétrole russe et iranien malgré les sanctions.

Comment un micro-État du Pacifique Sud est-il devenu, en quelques années, l’un des registres maritimes à la croissance la plus rapide du monde ? La réponse tient en trois mots : simplicité, discrétion, rentabilité.

Un bureau à côté de la pizzeria

Le siège de Maritime Cook Islands ne paie pas de mine. Un immeuble bas, quelques ordinateurs, une dizaine d’employés. Pourtant, cette société privée, délégataire du gouvernement local, gère aujourd’hui des milliers d’immatriculations.

Le principe est simple : n’importe quel armateur étranger peut payer quelques milliers de dollars et obtenir le droit de naviguer sous pavillon cookien sans jamais poser un pied sur l’archipel. Pas de visite physique du navire, formalités réduites au minimum, confidentialité maximale.

Résultat : les recettes publiques liées aux droits d’enregistrement ont explosé de plus de 400 % en cinq ans. De quoi représenter une manne financière bienvenue pour un territoire dont le budget annuel avoisine à peine les 150 millions d’euros.

« C’est le registre à la croissance la plus rapide au monde »

Lloyd’s List, 2024

20 pétroliers sous sanctions américaines

Le revers de la médaille est lourd. Entre 2024 et 2025, pas moins de 20 pétroliers battant pavillon des Îles Cook ont été identifiés par les autorités américaines comme ayant transporté du pétrole brut russe ou iranien en violation des sanctions.

Quatorze autres figurent sur la liste noire britannique pour les mêmes raisons. Des navires souvent anciens, mal entretenus, assurés par des compagnies obscures et qui pratiquent le transbordement en haute mer pour brouiller leur trace.

Ces « dark ships » éteignent leur transpondeur AIS, changent de nom comme de chemise et se réfugient sous des pavillons complaisants pour échapper aux contrôles.

Exemples de navires cités dans les sanctions :

  • Eagle S – impliqué dans la coupure volontaire de câbles en mer Baltique
  • Navires liés à une société émiratie accusée d’avoir blanchi des millions pour l’armée iranienne
  • Plusieurs unités transférant du brut russe vers la Chine ou l’Inde

La colère de la Nouvelle-Zélande

Les Îles Cook sont en « libre association » avec la Nouvelle-Zélande, qui assure leur défense et leur représentation diplomatique. Autant dire que Wellington suit le dossier de très près – et avec une exaspération croissante.

« C’est alarmant et exaspérant de voir les efforts de sanctions internationaux compromis de cette manière »

Porte-parole du ministre néo-zélandais des Affaires étrangères, 2025

Depuis des années, la Nouvelle-Zélande presse discrètement – puis moins discrètement – le gouvernement cookien de mieux surveiller son registre. Sans grand succès jusqu’à présent.

Un vide juridique presque parfait

Le drame, c’est que le droit international maritime est d’une faiblesse consternante sur ce point. L’État du pavillon a théoriquement la responsabilité de contrôler ses navires… mais rien ne l’oblige réellement à le faire.

L’affaire de l’Eagle S est emblématique. En 2024, son équipage est accusé d’avoir sectionné des câbles sous-marins en mer Baltique. Traduit devant un tribunal finlandais, le capitaine et ses officiers ont été relaxés : le juge a estimé n’avoir aucune compétence, renvoyant la responsabilité… aux Îles Cook.

Or les Îles Cook n’ont ni marine, ni police maritime, ni tribunal spécialisé. Résultat : personne n’est jamais puni.

« Il n’existe pas vraiment de mécanisme international pour forcer ces États à respecter leurs obligations »

Anton Moiseienko, Université nationale australienne

Un modèle qui fait école dans le Pacifique

Les Îles Cook ne sont pas un cas isolé. Palaos, Tuvalu, Niue… plusieurs micro-États du Pacifique Sud ont vu leur registre exploser ces dernières années, attirés par la même promesse de revenus faciles.

Le Royal United Services Institute britannique parle d’une véritable « industrie » exploitée depuis longtemps par l’Iran et la Corée du Nord. La Russie, depuis 2022, a simplement accéléré le mouvement.

Aujourd’hui, on estime que plus de 600 pétroliers opèrent dans l’ombre pour contourner les sanctions, soit près de 10 % de la flotte mondiale de tankers.

La défense de Maritime Cook Islands

Contactée, la société assure « n’avoir jamais accueilli volontairement de navires sanctionnés » et met en avant ses outils de surveillance. Elle affirme « ne pas avoir connaissance » d’abus liés aux sanctions.

Un argument qui laisse sceptiques les experts : dès qu’un navire est sanctionné, il est immédiatement radié du registre… mais rien n’empêche son propriétaire de le ré-immatriculer sous un autre nom le mois suivant.

Vers une réaction internationale ?

Face à ce Far West maritime, plusieurs pistes émergent : blacklistage systématique des pavillons abusifs, sanctions secondaires contre les registres, création d’un organisme international de contrôle…

Mais pour l’instant, le petit bureau à côté de la pizzeria continue de tourner. Et sous le soleil des Îles Cook, les pétroliers fantômes poursuivent leur route, chargés de brut russe et iranien, à l’abri des radars.

Un paradis fiscal flottant, en somme. Mais cette fois, ce n’est pas l’argent qui est blanchi… c’est le pétrole qui finance des guerres et des programmes nucléaires.

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