En Syrie, le paysage politique et militaire est en pleine mutation. Mourhaf Abou Qasra, chef militaire du groupe radical Hayat Tahrir al-Sham (HTS) qui a pris le pouvoir à Damas en décembre dernier, vient d’annoncer une décision lourde de conséquences : la dissolution prochaine des factions armées, à commencer par la sienne, pour les fondre au sein de la future armée nationale syrienne. Un pas décisif vers l’unification du pays morcelé par 13 années de guerre civile.
Le geste fort de HTS : dissoudre sa branche armée
« Dans tout État, il faut que les unités militaires soient intégrées au sein de l’institution militaire », a déclaré Mourhaf Abou Qasra, plus connu sous son nom de guerre d’Abou Hassan al-Hamwi, depuis la ville côtière de Lattaquié. Celui qui est aussi le chef militaire de HTS, le groupe islamiste radical qui mène la coalition au pouvoir depuis décembre, a ajouté que sa faction serait « la première à prendre l’initiative de se dissoudre, dans l’intérêt général du pays ».
Un geste fort, quand on sait le rôle clé joué par HTS et sa branche armée dans la prise du pouvoir, au terme d’une offensive éclair fin novembre qui leur a permis de chasser le président Bachar al-Assad et de contrôler une bonne partie du territoire syrien. Mais pour Mourhaf Abou Qasra, la priorité est désormais à la reconstruction de l’armée et de l’État syrien.
Étendre l’autorité sur les zones kurdes
Au-delà de sa propre faction, le chef militaire a aussi évoqué la situation des zones kurdes dans le nord-est du pays, contrôlées par une administration autonome. Pour lui, « le peuple kurde est une des composantes du peuple syrien » et le problème se situe avec « la direction des Forces démocratiques syriennes (FDS) », la coalition arabo-kurde soutenue par les États-Unis qui a combattu le groupe État islamique.
« La Syrie ne sera pas divisée et il n’y aura pas d’entités fédérales », a martelé Mourhaf Abou Qasra, affirmant que « la région que contrôlent actuellement les FDS sera intégrée à la nouvelle administration du pays ».
Un message clair envoyé aux Kurdes syriens, qui ont pourtant fait des gestes d’ouverture envers le nouveau pouvoir en place à Damas. La question de l’intégration des zones kurdes et de leurs forces dans le giron du nouvel État syrien s’annonce comme un des grands défis de l’après-guerre.
« Trouver une solution » face à Israël
Autre dossier brûlant : les activités militaires israéliennes en Syrie. Le chef militaire de HTS a appelé la communauté internationale à « intervenir pour y mettre fin et trouver une solution ». Il a qualifié « d’injustes » les frappes israéliennes sur des sites militaires syriens et l’incursion dans le sud du pays, tout en assurant que « la Syrie ne constituera pas une base pour des problèmes régionaux ou internationaux ».
Depuis la chute de Bachar al-Assad, Israël a en effet intensifié ses opérations en Syrie, menant des centaines de raids aériens et prenant le contrôle d’une zone tampon dans le Golan syrien. Le nouveau pouvoir syrien doit désormais composer avec cette épineuse équation israélo-syrienne.
HTS veut sortir du statut « terroriste »
Mourhaf Abou Qasra en a aussi profité pour lancer un appel aux « États-Unis et tous les pays » afin qu’ils retirent HTS et son chef Abou Mohammad al-Jolani des listes des « organisations terroristes ». Le groupe, issu d’Al-Qaïda mais qui a rompu avec le réseau djihadiste, reste en effet considéré comme « terroriste » par l’ONU, Washington et plusieurs capitales européennes.
Alors que les nouvelles autorités syriennes s’efforcent de rassurer sur leur capacité à pacifier et stabiliser le pays, cette étiquette « terroriste » reste un handicap de taille pour leur reconnaissance internationale, malgré les timides contacts noués avec des émissaires occidentaux et onusiens depuis leur prise du pouvoir.
Les défis de l’après-guerre en Syrie
Cette annonce de HTS intervient alors que la Syrie tente de tourner la page de 13 années d’une guerre civile dévastatrice, qui a morcelé le pays en différentes zones d’influence et fait des centaines de milliers de victimes. L’enjeu pour le nouveau pouvoir en place est de taille :
- Unifier les différentes factions armées au sein d’une armée nationale
- Rétablir l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire, notamment les zones kurdes
- Apaiser les tensions avec les acteurs régionaux comme Israël
- Obtenir une reconnaissance et une légitimité internationale
- Reconstruire un pays dévasté par la guerre
Autant de défis immenses pour la Syrie de l’après-Assad, qui doit démontrer sa capacité à assurer la sécurité, la stabilité et la réconciliation nationale, tout en composant avec les intérêts divergents des acteurs locaux et internationaux. La dissolution annoncée du bras armé de HTS se veut un premier pas, crucial mais ô combien délicat, vers la refondation de l’État et de l’armée syrienne. Le chemin sera long et semé d’embûches pour panser les plaies de ce pays brisé.