Imaginez un pays entier au bord de la panne sèche en plein cœur de l’hiver balkanique. Stations-service à sec, chauffages au ralenti, économie menacée de paralysie. C’est le scénario cauchemardesque que la Serbie tente d’éviter depuis plusieurs semaines, et qui pourrait devenir réalité d’ici la fin de la semaine si rien n’est fait.
Mercredi, un vent d’espoir a soufflé depuis Budapest. Le ministre hongrois des Affaires étrangères a annoncé une augmentation massive des livraisons de produits pétroliers vers Belgrade, pour pallier la fermeture imminente de l’unique raffinerie serbe. Un geste de solidarité qui prend des allures de sauvetage d’urgence.
La Hongrie devient le poumon énergétique de la Serbie
Peter Szijjarto n’a pas mâché ses mots lors de sa visite à Belgrade. Accompagné du géant énergétique hongrois MOL, il a promis que son pays ne laisserait jamais la Serbie dans le noir, ni dans le froid. Une déclaration forte, presque fraternelle, dans un contexte géopolitique pourtant explosif.
Concrètement, les exportations hongroises de carburants ont plus que doublé depuis le début du mois de novembre. Et ce n’est qu’un début. De nouvelles augmentations sont déjà à l’étude pour compenser la perte de production de la raffinerie de Pancevo, seule installation du genre en Serbie.
« La Serbie peut toujours compter sur la Hongrie pour garantir son approvisionnement énergétique. Nous ne vous laisserons jamais tomber. »
Peter Szijjarto, ministre hongrois des Affaires étrangères
Une raffinerie sous le coup de sanctions américaines
Le cœur du problème se trouve à Pancevo, à quelques kilomètres de Belgrade. La raffinerie exploitée par NIS, la compagnie pétrolière nationale serbe, appartient majoritairement à des intérêts russes depuis 2008. Gazprom et Gazprom Neft y détiennent la majorité du capital, acquis pour 400 millions d’euros à l’époque.
Depuis l’invasion de l’Ukraine, Washington exerce une pression continue pour couper les derniers liens énergétiques entre la Serbie et la Russie. Les sanctions, entrées en vigueur le 9 octobre après de multiples reports, frappent désormais directement NIS. Résultat : l’entreprise annonce qu’elle devra arrêter complètement sa production avant la fin de la semaine sans nouveaux approvisionnements.
Les conséquences sont déjà visibles dans le quotidien des Serbes. Les cartes bancaires internationales Mastercard et Visa ne fonctionnent plus dans les stations-service NIS. Seuls les paiements en espèces ou via la carte locale Dina, garantie par la banque centrale, restent possibles.
50 jours pour trouver une solution ou nationaliser
Le président serbe Aleksandar Vučić a fixé un ultimatum clair : 50 jours. C’est le délai accordé aux actionnaires russes et à d’éventuels repreneurs pour conclure un accord qui satisferait les exigences américaines. Parmi les candidats sérieux figurent des investisseurs hongrois et émiratis.
En parallèle, le gouvernement prépare discrètement un projet de loi budgétaire qui lui permettrait de prendre le contrôle de NIS si nécessaire. Une option longtemps écartée en raison des liens historiques entre Belgrade et Moscou, mais qui revient avec insistance dans les débats.
La Banque nationale de Serbie a déjà prévenu qu’elle cesserait toute collaboration avec NIS si aucun accord n’était trouvé dans le délai imparti. Une menace lourde de conséquences, qui pourrait isoler complètement l’entreprise du système financier national.
Des stocks constitués, mais jusqu’à quand ?
Aleksandar Vučić assure que les réserves actuelles permettent de tenir jusqu’à la fin de l’année. NIS affirme avoir constitué des stocks suffisants de carburant, complétés par des réserves stratégiques détenues par l’État.
Mais ces déclarations officielles peinent à rassurer complètement la population. L’hiver approche, les besoins en chauffage augmentent, et la dépendance aux importations devient critique. Chaque jour compte.
Les options sur la table pour la Serbie :
- Vente rapide à un repreneur non russe (Hongrie ou Émirats)
- Nationalisation temporaire ou définitive de NIS
- Obtention d’une dérogation américaine (peu probable)
- Augmentation massive des importations depuis les pays voisins
La demande de dérogation américaine toujours sans réponse
La semaine dernière, NIS a officiellement demandé une exemption temporaire aux sanctions américaines, le temps de finaliser les négociations. À ce jour, Washington n’a toujours pas répondu.
Le silence américain pèse lourd. Il entretient l’incertitude et renforce la position de ceux qui, à Belgrade, appellent à une réponse plus ferme face à ce qu’ils perçoivent comme une ingérence excessive.
Une solidarité régionale qui défie la pression occidentale
L’attitude hongroise marque un tournant. Budapest, déjà en froid régulier avec Bruxelles sur de nombreux dossiers, choisit ouvertement de soutenir son voisin serbe. Un positionnement qui n’est pas seulement technique, mais profondément politique.
En augmentant massivement ses livraisons, la Hongrie envoie un message clair : les pays de la région entendent préserver leur souveraineté énergétique, même au prix d’un bras de fer avec les grandes puissances.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Budapest et Belgrade affichent leur proximité. Les deux capitales partagent une vision commune sur de nombreux sujets, de la migration à la relation avec la Russie, en passant par le refus de certaines politiques européennes.
Vers une renationalisation inévitable ?
Ce qui était impensable il y a encore quelques mois revient avec force dans les discussions. La nationalisation de NIS, ou du moins une prise de contrôle majoritaire par l’État serbe, n’est plus écartée.
Les arguments ne manquent pas : sécurité nationale, indépendance énergétique, protection de l’économie. Reste à savoir si Belgrade est prêt à franchir ce pas, et surtout à en assumer les conséquences diplomatiques et financières.
Car une telle décision ne serait pas sans répercussions. Elle pourrait tendre encore davantage les relations avec Washington, déjà compliquées, et exposer la Serbie à des sanctions secondaires.
Un hiver sous haute tension
Pour l’instant, l’urgence reste immédiate. Éviter la pénurie avant la fin de l’année. Les camions-citernes hongrois roulent déjà vers le sud, chargés de carburant salvateur.
Mais au-delà de cette aide ponctuelle, c’est toute la stratégie énergétique serbe qui est remise en question. Dépendre d’un seul pays voisin, même ami, n’est pas une solution durable. La diversification des sources d’approvisionnement devient plus que jamais une priorité.
En attendant, des millions de Serbes retiennent leur souffle. Leur quotidien, leur travail, leur chauffage dépendent désormais de la rapidité des négociations, de la générosité hongroise, et peut-être, d’un hypothétique assouplissement américain.
L’hiver 2025 s’annonce comme l’un des plus incertains de l’histoire récente du pays. Entre solidarité régionale et pressions internationales, la Serbie marche sur une corde raide énergétique. Et pour l’instant, personne ne sait si elle parviendra à atteindre l’autre rive sans tomber.









