Imaginez une ville encore sous le choc, les yeux rougis par les larmes et la fumée, qui doit pourtant aller voter dès l’aube. C’est exactement ce que vit Hong Kong ce dimanche.
Un scrutin dans l’ombre d’une tragédie sans précédent
Fin novembre, sept immeubles en rénovation du quartier de Wang Fuk Court, dans le nord de la ville, ont été ravagés par un incendie d’une violence rare. Le bilan officiel fait état d’au moins 159 victimes. Des familles entières ont disparu en quelques minutes. Depuis, les hommages fleurissent dans les rues, les bougies restent allumées jour et nuit, et la douleur est encore à vif.
Et pourtant, ce dimanche matin à 7 h 30, les bureaux de vote ouvrent comme prévu pour élire les 90 membres du Conseil législatif. Un rendez-vous électoral déjà particulier – seuls 20 sièges sont élus au suffrage universel direct – qui se retrouve totalement éclipsé par le drame.
Un système électoral verrouillé par Pékin
–>Depuis la réforme imposée par Beijing en 2021, plus personne n’a d’illusion : seuls les « patriotes » validés par les autorités peuvent se présenter. Les grands partis pro-démocratie historique, le Parti civique et le Parti démocrate, ont purement et simplement disparu de la carte politique, dissous ou en sommeil forcé.
Le précédent scrutin organisé sous ces nouvelles règles, en 2021, avait enregistré un taux de participation historiquement bas : à peine 30 %. Beaucoup d’électeurs avaient préféré bouder les urnes plutôt que de cautionner ce qu’ils considèrent comme une mascarade.
Aujourd’hui, le gouvernement met tout en œuvre pour éviter un nouveau camouflet. John Lee, chef de l’exécutif, a multiplié les appels au vote ces derniers jours, liant explicitement le devoir civique au soutien aux victimes de l’incendie.
« Tout en pleurant les victimes et en apportant notre soutien aux personnes touchées, nous devons aussi rester unis et soutenir ensemble les réformes… J’insiste sur le fait que chacun doit voter. »
John Lee, chef de l’exécutif de Hong Kong
Quand le deuil devient suspect
Mais le deuil, lui aussi, est surveillé de près. Sur le principal lieu de recueillement, des habitants ont commencé à distribuer des tracts réclamant des comptes au gouvernement sur les causes du sinistre. Résultat : la police a procédé à plusieurs arrestations pour « sédition ».
Parmi les personnes interpellées figure Miles Kwan, un étudiant de 24 ans qui distribuait simplement des flyers demandant justice et transparence. Selon les autorités, ses écrits « n’avaient pratiquement aucun rapport avec la catastrophe et visaient uniquement à inciter à la haine ».
Parallèlement, quinze responsables de chantiers ont été arrêtés pour homicide involontaire. Une commission d’enquête indépendante, présidée par un juge, a été annoncée, mais beaucoup doutent de sa réelle indépendance.
L’agence de sécurité nationale sort les griffes
Samedi, l’Office de sauvegarde de la sécurité nationale (OSNS) a convoqué les correspondants de plusieurs médias internationaux pour leur reprocher d’avoir diffusé « de fausses informations » sur l’incendie. Le message était clair :
« Le Bureau ne tolérera aucune action des éléments anti-Chine et fauteurs de troubles à Hong Kong. »
Une menace à peine voilée à l’approche du scrutin.
Des figures historiques s’effacent, de nouvelles apparaissent
En coulisses, le renouvellement est massif : près d’un tiers des législateurs sortants ne se représentent pas. Parmi eux, des poids lourds comme Regina Ip ou Andrew Leung, président du Conseil législatif.
À l’inverse, certaines candidatures font parler d’elles. La championne olympique d’escrime Vivian Kong se présente ainsi dans le secteur du tourisme – un siège attribué non pas par les citoyens, mais par les représentants du secteur. Symbole d’une nouvelle génération de « patriotes » acceptables.
Vers une participation forcée ou un nouveau boycott silencieux ?
Le gouvernement promet que le premier projet de loi de la nouvelle législature portera sur les mesures de secours et de reconstruction après l’incendie. Un argument pour inciter les électeurs à se déplacer.
Mais dans les rues, beaucoup restent sceptiques. « Voter pour qui ? Pour quoi ? » entend-on souvent. D’autres craignent que s’abstenir soit désormais considéré comme un acte politique en soi, passible de représailles.
Entre la douleur encore vive et la pression politique intense, Hong Kong retient son souffle ce dimanche. Les bureaux de vote fermeront à 22 h 30. Alors seulement on saura si la ville a choisi de participer à ce scrutin sous contrôle… ou de lui tourner le dos une fois de plus.
Une chose est sûre : ce vote, quel qu’en soit le résultat, marquera un nouveau chapitre dans l’histoire tourmentée de l’ancienne colonie britannique redevenue chinoise.









