Imaginez recevoir une convocation officielle, sans appel, pour vous faire dire en face que vos articles sont des mensonges. Pas d’exemples, pas de débat, juste une mise en garde glaciale : « Ne franchissez pas la ligne rouge ». C’est exactement ce qu’ont vécu, samedi, plusieurs journalistes étrangers à Hong Kong.
Une réunion qui ressemble à un avertissement
Le Bureau de la sauvegarde de la sécurité nationale (OSNS), bras armé de Pékin dans l’ancienne colonie britannique, a organisé cette rencontre inhabituelle avec des représentants de grands médias internationaux présents dans la ville.
Aucun nom n’a été cité publiquement, mais plusieurs agences et journaux étrangers ont confirmé avoir été invités – ou plutôt sommés – d’assister à cette séance tenue dans les locaux mêmes de l’OSNS.
L’ambiance ? Tendue. Un responsable masqué derrière l’anonymat a lu une déclaration préparée accusant les médias de « diffuser de fausses informations », de « déformer » l’action gouvernementale après la catastrophe et même d’« interférer » dans les prochaines élections législatives.
« Certains médias étrangers ont ignoré les faits, provoqué des divisions et des affrontements sociaux »
Communiqué officiel du Bureau de la sauvegarde de la sécurité nationale
L’incendie meurtrier, déclencheur de la colère officielle
Tout est parti du terrible incendie survenu le 26 novembre dans un immeuble résidentiel de Kowloon. Le bilan est effroyable : au moins 159 morts, des centaines de blessés, des familles entières décimées en quelques minutes.
Très vite, des voix se sont élevées pour critiquer la lenteur des secours, l’état vétuste de certains bâtiments, ou encore la gestion post-catastrophe. Des critiques jugées inacceptables par les autorités.
Déjà, plusieurs personnes ont été arrêtées pour « sédition » après avoir publié des messages jugés trop virulents sur les réseaux sociaux. Le ton était donné.
Aucun exemple concret, aucune question autorisée
Ce qui frappe dans cette réunion, c’est son caractère unilatéral. Le responsable a lu son texte, point final. Pas d’exemple précis d’article ou de reportage contesté. Pas de débat. Les journalistes présents ont tenté de poser des questions : silence radio.
Le message était clair : il ne s’agissait pas de discuter, mais d’intimider.
Quelques heures plus tard, le communiqué publié en ligne enfonçait le clou :
« Le Bureau ne tolérera aucune action des éléments anti-Chine et fauteurs de troubles à Hong Kong, et vous êtes prévenus. »
Un contexte de répression continue depuis 2020
Cette convocation ne sort pas de nulle part. Depuis l’imposition de la loi sur la sécurité nationale en 2020, la marge de manœuvre des médias, des ONG et de la société civile n’a cessé de se réduire.
Des journaux indépendants ont fermé, des journalistes ont été arrêtés, d’autres ont choisi l’exil. Les manifestations de 2019 semblent appartenir à une autre époque.
En 2021, le système électoral a été profondément remanié pour ne laisser de place qu’aux « patriotes » validés par Pékin. Les élections législatives du 7 décembre seront les deuxièmes organisées sous ce nouveau régime.
La liberté de la presse en chute libre
Hong Kong, autrefois fière de son statut de place forte de la liberté d’expression en Asie, dégringole chaque année dans les classements mondiaux.
Cette convocation collective est une première. Elle marque un palier supplémentaire dans la normalisation autoritaire : on ne se contente plus d’arrêter ou de poursuivre, on convoque, on sermonne, on menace ouvertement.
Et le message s’adresse autant aux journalistes étrangers qu’à la population locale : toute critique, même factuelle, peut désormais être qualifiée de « fausse information » ou d’« atteinte à la sécurité nationale ».
Vers une presse totalement alignée ?
En convoquant ainsi les médias internationaux, l’OSNS envoie un signal fort : même les journalistes étrangers ne bénéficient plus d’aucune immunité particulière. Ils sont désormais dans le même viseur que les locaux.
Certains observateurs y voient une tentative d’autocensure massive à l’approche des élections législatives, où seuls les candidats « patriotes » pourront se présenter.
Dans ce climat, couvrir Hong Kong devient chaque jour plus compliqué. Et la question que tout le monde se pose reste sans réponse : jusqu’où ira cette pression ?
Rappel des faits clés :
- 26 novembre → Incendie meurtrier à Kowloon : 159 morts minimum
- Début décembre → Arrestations pour sédition après critiques en ligne
- Samedi → Convocation des médias internationaux par l’OSNS
- Aucune question autorisée, aucun exemple précis donné
- 7 décembre → Élections législatives sous le régime « patriotes seulement »
Ce qui se joue à Hong Kong dépasse largement les frontières de la ville. C’est un laboratoire grandeur nature de la manière dont un régime autoritaire peut, en quelques années, faire plier une société autrefois réputée pour sa liberté.
Et quand les journalistes eux-mêmes reçoivent des avertissements aussi directs, c’est tout l’écosystème de l’information qui vacille.
À suivre, malheureusement, de très près.









