Imaginez : vous êtes à quelques milliers de voix près de devenir président, et soudain le système s’arrête. Puis il redémarre, et votre avance fond comme neige au soleil. C’est exactement ce qu’affirme vivre Salvador Nasralla depuis plus d’une semaine au Honduras.
Un dépouillement devenu un véritable thriller politique
Le scrutin a eu lieu le 30 novembre. Dix jours plus tard, le pays reste suspendu à un fil. Le Conseil national électoral (CNE) annonce près de 99 % des bulletins dépouillés. Nasry Asfura, candidat du Parti national et homme lige de l’ancien président Juan Orlando Hernández, obtient 40,53 % des voix. Salvador Nasralla, présentateur télé charismatique du Parti libéral, suit avec 39,16 %. Un écart minuscule de 1,37 point.
Mais pour Nasralla, ces chiffres ne sont qu’une façade. Lundi, alors que le comptage reprenait après plusieurs jours d’arrêt total, il a publié une série de messages incendiaires : « C’est du vol pur et simple ».
Des interruptions à répétition qui alimentent les soupçons
Le processus a connu plusieurs arrêts brutaux. D’abord bloqué à 88,6 %, il a repris lundi matin, puis s’est à nouveau interrompu dans l’après-midi. Selon l’opposant libéral, son camp menait de plus de 20 points au moment de cette dernière pause. Quelques heures plus tard, l’écart s’était évaporé.
Le CNE parle de « problèmes techniques » avec l’entreprise privée chargée de transmettre les résultats. Une explication qui peine à convaincre dans un pays où la mémoire des fraudes passées reste vive.
« Ils ont manipulé le système informatique pendant les interruptions. Nous exigeons un recomptage bulletin par bulletin des 2 749 procès-verbaux litigieux »
Salvador Nasralla
2 749 procès-verbaux « incohérents » : le cœur du litige
Ces documents représentent tout de même 14,5 % des votes valides. Le CNE reconnaît lui-même des « incohérences ». Nasralla affirme que dans de nombreux cas, la reconnaissance biométrique n’a pas été utilisée et que les procès-verbaux ont été remplis de façon arbitraire.
La loi donne jusqu’au 30 décembre pour proclamer un vainqueur officiel. Mais chaque jour qui passe renforce le sentiment que le résultat final pourrait être imposé plutôt que refléter la volonté populaire.
L’ombre écrasante de Donald Trump
Avant même le scrutin, le président américain avait apporté un soutien sans ambiguïté à Nasry Asfura, qualifié d’« ami de la liberté ». Quelques jours avant le vote, Trump a même gracié Juan Orlando Hernández, mentor d’Asfura, condamné aux États-Unis à 45 ans de prison pour trafic de drogue.
Lundi, alors que les accusations de fraude fusaient, l’administration Trump a rapidement salué la « transparence » du processus et affirmé qu’il n’existait « aucune preuve crédible » d’irrégularités. Un timing qui a fait bondir l’opposition.
Xiomara Castro et le parti Libre passent à l’offensive
La présidente sortante de gauche, arrivée troisième, n’est pas restée silencieuse. Son parti Libre a réclamé dimanche l’« annulation totale » des élections, dénonçant une « ingérence » américaine flagrante. Des appels à la mobilisation et à la grève générale ont été lancés dans plusieurs régions.
Dans les rues de Tegucigalpa et San Pedro Sula, la tension est palpable. Des barrages routiers spontanés et des rassemblements devant le siège du CNE se multiplient.
L’OEA prise entre deux feux
Les observateurs de l’Organisation des États américains, présents sur place, se sont contentés samedi de demander une « accélération » du dépouillement. Une position jugée trop timide par les opposants qui attendaient une condamnation plus ferme des dysfonctionnements.
Un précédent qui hante le Honduras
En 2017, Juan Orlando Hernández avait été proclamé vainqueur dans des conditions similaires : pannes informatiques, coupures de courant, accusations de bourrage d’urnes. Salvador Nasralla était déjà le principal perdant. Huit ans plus tard, l’histoire semble se répéter avec une précision effrayante exactitude.
Marlon Ochoa, membre de l’opposition au sein même du CNE, n’a pas mâché ses mots : ces élections seraient « les plus manipulées et les moins crédibles » de l’histoire démocratique récente du pays.
Vers une crise institutionnelle majeure ?
Si aucun accord n’est trouvé rapidement, le Honduras risque de plonger dans une nouvelle fois dans l’instabilité. Le spectre des violences post-électorales de 2017, qui avaient fait une trentaine de morts, plane toujours.
Pour l’instant, trois scénarios se dessinent :
- Un recomptage partiel ou total sous supervision internationale qui pourrait renverser le résultat.
- La proclamation d’Asfura malgré les contestations, avec risque de soulèvement populaire.
- L’annulation pure et simple du scrutin, solution extrême réclamée par Libre mais peu probable.
Quel que soit l’issue, une chose est sûre : la confiance dans les institutions honduriennes sortira durablement abîmée de cet énième épisode chaotique.
Le monde observe, l’Amérique latine retient son souffle, et dix millions de Honduriens attendent de savoir si leur vote comptera réellement cette fois-ci.
(Article mis à jour en continu selon l’évolution de la situation)









