Imaginez un pays tout entier suspendu à quelques milliers de bulletins de vote. Un pays où la présidente sortante crie à la fraude massive, où un candidat dénonce un « vol » en direct sur les réseaux, et où le président des États-Unis est accusé d’avoir pesé de tout son poids pour imposer son poulain. Ce n’est pas un scénario de série politique. C’est le Honduras, décembre 2025.
Une présidentielle qui tourne au cauchemar
Depuis le scrutin du 30 novembre, le Honduras retient son souffle. Le décompte des voix, bloqué pendant plusieurs jours à 88,6 %, a repris difficilement et reste entouré de soupçons. À l’heure où ces lignes sont écrites, deux hommes se disputent la victoire à quelques dixièmes de point près.
D’un côté, Nasry Asfura, 67 ans, homme d’affaires et candidat du Parti national (droite), soutenu ouvertement par Donald Trump. De l’autre, Salvador Nasralla, 72 ans, ancien présentateur télé très populaire et membre du Parti libéral. Selon les derniers chiffres officiels, Asfura devance Nasralla de 1,37 point (40,53 % contre 39,16 %).
Mais pour le camp de gauche et une large partie de l’opposition, ces chiffres ne veulent rien dire. Ils parlent de manipulation, de pressions, et même de menace directe venue de la Maison-Blanche.
Xiomara Castro : « C’est une falsification de la volonté populaire »
La présidente sortante, Xiomara Castro, n’a pas mâché ses mots. Lors d’un meeting à Olancho, dans le centre du pays, elle a dénoncé un processus « entaché de nullité » dès le départ.
« Le peuple s’est rendu aux urnes avec courage, mais nous avons vécu des menaces, des pressions, la manipulation du système de résultats préliminaires et la falsification pure et simple de la volonté populaire. »
Elle pointe notamment des enregistrements audio compromettants. On y entendrait une membre du Conseil national électoral, proche du Parti national, évoquer ouvertement une manipulation du processus. Une plainte a été déposée.
Pour Xiomara Castro et son parti Libre, la candidate du pouvoir, Rixi Moncada, arrivée troisième, a été victime d’une campagne de peur orchestrée depuis Washington.
L’ombre pesante de Donald Trump
Le rôle des États-Unis dans cette élection est au cœur de toutes les polémiques. Donald Trump n’a jamais caché son soutien à Nasry Asfura, qualifié d’« ami de la liberté ». Avant le scrutin, il avait menacé les Honduriens de « conséquences » s’ils portaient au pouvoir une candidate de gauche.
Le timing est troublant. Quelques jours avant le vote, Trump a gracié Juan Orlando Hernández, l’ancien président hondurien et mentor d’Asfura, condamné à 45 ans de prison aux États-Unis pour trafic de drogue. Un signal fort envoyé au Parti national.
L’administration américaine, elle, assure que l’élection s’est déroulée de façon intègre et qu’il n’existe « aucune preuve crédible » de fraude justifiant une annulation.
Un système informatique qui s’effondre… ou qu’on fait s’effondrer ?
Le cœur du problème technique réside dans le système de transmission et de diffusion des résultats, géré par une entreprise privée. Plusieurs pannes successives ont paralysé le décompte pendant des jours.
Salvador Nasralla, lui, parle sans détour de « vol ». Sur les réseaux sociaux, il affirme que son parti menait de 20 points lorsque le système s’est mystérieusement arrêté une nouvelle fois.
« C’est du vol organisé. Ils manipulent le système informatique pendant le dépouillement. »
Il exige aujourd’hui un recomptage manuel, bulletin par bulletin, des 2 749 procès-verbaux signalés comme « incohérents » par le Conseil électoral lui-même. Ces documents représentent 14,5 % des votes valides. De quoi renverser complètement le résultat.
Les irrégularités qui s’accumulent
Plusieurs éléments alimentent la défiance :
- Absence d’utilisation de la reconnaissance biométrique dans de nombreux bureaux
- Rédaction arbitraire de certains procès-verbaux
- Suspensions répétées du système informatique sans explication convaincante
- Audios compromettants d’une membre du CNE
- Retards inhabituels dans la transmission des résultats
Marlon Ochoa, membre de l’opposition au sein même du Conseil électoral, va plus loin. Pour lui, ces élections sont tout simplement « les plus manipulées et les moins crédibles » de l’histoire démocratique récente du Honduras.
Vers une explosion sociale ?
Le parti Libre a appelé à une « annulation totale » du scrutin et multiplie les appels à la mobilisation. Grèves, manifestations, blocages : le pays se prépare à des journées très tendues.
Dans les rues de Tegucigalpa et San Pedro Sula, la colère monte. Beaucoup de Honduriens, épuisés par des années de corruption et de violence, voient dans cette élection une nouvelle preuve que le système est verrouillé par les mêmes élites, avec le soutien de puissances étrangères.
L’Organisation des États américains, présente comme observateur, a réclamé une accélération du processus mais reste prudente dans ses déclarations publiques.
Que va-t-il se passer maintenant ?
Juridiquement, le Conseil national électoral a jusqu’au 30 décembre pour proclamer un vainqueur officiel. Mais dans le climat actuel, peu imaginent une sortie de crise apaisée.
Trois scénarios se dessinent :
- Le CNE valide la victoire d’Asfura malgré les contestations : risque de soulèvement populaire massif
- Un recomptage partiel ou total est accepté : le résultat pourrait basculer en faveur de Nasralla
- Le scrutin est annulé et de nouvelles élections organisées : solution extrême qui plongerait le pays dans l’incertitude pour plusieurs mois
Une chose est sûre : le Honduras vit un moment historique. Dix millions d’habitants regardent leur démocratie vaciller sous les yeux du monde entier.
Et pendant ce temps, à Washington comme à Tegucigalpa, les téléphones doivent chauffer. Car derrière les bulletins et les pannes informatiques, c’est bien le contrôle d’un pays stratégique d’Amérique centrale qui se joue. Un pays couloir de la drogue, plaque tournante migratoire, et terrain d’influence privilégié entre grandes puissances.
La suite dans les prochains jours risque de marquer durablement l’histoire politique de l’Amérique latine.
À retenir : Le Honduras est au bord du gouffre. Entre accusations de fraude massive, ingérence américaine assumée et système électoral en perdition, le pays pourrait connaître ses heures les plus sombres depuis le coup d’État de 2009.









