Imaginez la scène : sur le front de mer de Beyrouth, 120 000 personnes attendent le souverain pontife sous un ciel d’automne. À quelques kilomètres, dans la banlieue sud, le Hezbollah prépare un geste diplomatique aussi inattendu que symbolique. Naïm Qassem, nouveau secrétaire général du mouvement chiite, vient d’annoncer qu’une lettre officielle sera remise au pape Léon XIV lors de sa visite de trois jours au Liban. Un moment rare où religion, politique et espoir de paix se croisent dans un pays encore marqué par les cicatrices de la guerre.
Une visite pontificale très attendue dans un Liban en crise
Le pape Léon XIV arrive dimanche au Liban pour un voyage de trois jours placé sous le signe du dialogue interconfessionnel. Après la Turquie, le chef de l’Église catholique choisit un pays où les chrétiens, bien que minoritaires numériquement, occupent une place politique centrale : le président de la République doit toujours être maronite. Pourtant, la communauté chrétienne libanaise ne cesse de s’amenuiser, rongée par l’émigration des jeunes générations.
Sur toutes les routes du pays, d’immenses panneaux publicitaires affichent le portrait du pape accompagné de la béatitude « Heureux les artisans de paix ». Un message qui résonne particulièrement un an après la fin officielle de la guerre de 2006 entre le Hezbollah et Israël, mais alors que les tensions restent vives.
Naïm Qassem salue publiquement la venue du Saint-Père
Vendredi soir, lors d’un discours télévisé, le chef du Hezbollah a surpris en se félicitant ouvertement de la visite papale. « Je me réjouis de la visite au Liban du pape », a-t-il déclaré avec une solennité rare. Mieux : il a révélé avoir chargé des membres du conseil politique de son mouvement de transmettre une lettre officielle au souverain pontife.
« Nous prions pour que le Saint Père contribue à propager la paix au Liban, à libérer le pays, et à mettre un terme à l’agression »
Naïm Qassem, secrétaire général du Hezbollah
Le ton est clair : le Hezbollah voit dans cette visite une occasion unique de porter sa voix jusqu’au Vatican. La lettre sera également publiée dans les médias, preuve que le message s’adresse autant à l’opinion publique libanaise et internationale qu’au pape lui-même.
Un contexte régional toujours explosif
Le timing n’est pas anodin. Un an après le cessez-le-feu de 2006, l’armée israélienne maintient des positions dans le sud du Liban malgré les résolutions internationales. Ces dernières semaines, les frappes se sont intensifiées, officiellement pour empêcher le Hezbollah de se réarmer. Le 23 novembre, une attaque aérienne dans la banlieue sud de Beyrouth a tué Haitham Ali Tabatabai, haut commandant militaire du mouvement chiite.
Dans ce climat, la venue du pape apparaît à beaucoup comme un rayon d’espérance. Naïm Qassem ne s’y trompe pas : il appelle Léon XIV à « se tenir debout pour les opprimés », reprenant une rhétorique habituelle du Hezbollah mais adressée cette fois au chef spirituel de plus d’un milliard de catholiques.
Le poids symbolique d’une lettre entre deux mondes
Le choix de remettre la lettre via l’ambassade du Saint-Siège plutôt que lors d’une rencontre directe révèle une prudence diplomatique. Le Vatican entretient des relations complexes avec le Hezbollah, organisation classée terroriste par plusieurs pays occidentaux mais acteur politique majeur au Liban.
Pourtant, le geste n’en reste pas moins historique. Jamais auparavant le mouvement chiite pro-iranien n’avait cherché à établir un canal aussi direct avec le Saint-Siège. Certains y voient une volonté d’ouverture, d’autres une opération de communication savamment orchestrée.
Les chrétiens libanais entre espoir et inquiétude
Dans les quartiers chrétiens de Beyrouth, l’annonce a suscité des réactions contrastées. Si beaucoup se réjouissent de la visite papale, certains s’interrogent sur la portée réelle de ce rapprochement. « Le pape vient pour tout le Liban, pas pour un camp », confie un habitant d’Achrafieh joint par téléphone.
Le déclin démographique des chrétiens – passé de plus de 50 % de la population en 1932 à moins de 35 % aujourd’hui – rend la visite d’autant plus symbolique. Léon XIV devrait aborder cette question délicate lors de son séjour, tout en évitant de prendre parti dans les divisions politiques libanaises.
Une messe géante sur le front de mer
Le point d’orgue de la visite sera la messe en plein air prévue sur le front de mer de Beyrouth. Plus de 120 000 fidèles sont attendus, un chiffre impressionnant dans un pays de moins de cinq millions d’habitants. Des délégations venues de toute la région sont annoncées, preuve de l’attrait que conserve le Liban comme terre de coexistence.
La sécurité a été renforcée de manière exceptionnelle. Les autorités libanaises, toutes confessions confondues, se sont mobilisées pour que l’événement se déroule sans incident. Un défi dans un pays où les attentats ont marqué les dernières décennies.
Le message de paix dans un pays fracturé
« Heureux les artisans de paix » : la phrase choisie pour la campagne d’affichage résume l’enjeu. Le Liban sort à peine de quinze ans de guerre civile (1975-1990) et reste profondément divisé. La présence du pape pourrait constituer un électrochoc moral pour une classe politique accusée d’immobilisme.
Le Hezbollah, en choisissant ce moment pour s’adresser au Vatican, joue une carte subtile. Il se pose en acteur responsable tout en maintenant sa ligne résistante face à Israël. Un équilibre délicat que Naïm Qassem semble maîtriser parfaitement.
La lettre remise au pape Léon XIV restera comme l’un des moments forts de cette visite. Son contenu exact n’est pas encore connu, mais les attentes sont immenses : parlera-t-elle uniquement de paix, ou contiendra-t-elle des demandes plus politiques ? Réponse dans les prochains jours, quand le texte sera rendu public.
En attendant, le Liban retient son souffle. Entre espoir de réconciliation nationale et réalités géopolitiques complexes, la visite du souverain pontife s’annonce comme un tournant. Peut-être pas décisif, mais incontestablement symbolique. Dans un pays où chaque geste compte, celui du Hezbollah pourrait marquer les esprits pour longtemps.
À retenir : Pour la première fois, le Hezbollah adresse officiellement un message au pape. Un geste qui illustre à la fois l’ouverture possible du mouvement chiite et la complexité des relations interconfessionnelles au Liban. La lettre sera publiée dans les médias : son contenu pourrait influencer durablement le débat sur la paix dans la région.
Le rendez-vous est pris. Dimanche, quand Léon XIV posera le pied sur le sol libanais, il portera sur ses épaules les espoirs de tout un peuple. Et dans sa poche, peut-être, cette lettre qui pourrait changer bien des choses.









