Au cœur du conflit syrien, un groupe autrefois affilié à la nébuleuse terroriste al-Qaïda a pris les rênes de la rébellion dans le nord du pays. Hayat Tahrir al-Cham (HTS), qui dirige désormais la coalition entrée dans la ville d’Alep, tente depuis plusieurs années de se réinventer en alternative politique crédible dans la région. Cependant, malgré ses efforts pour se démarquer de son passé jihadiste, le groupe peine à convaincre les puissances occidentales de sa sincérité.
Une Volte-Face Idéologique
Anciennement connu sous le nom de Jabhat al-Nusra et affilié à al-Qaïda, HTS affirme avoir tourné le dos à ses racines extrémistes. Selon l’International Crisis Group (ICG), le groupe a même procédé à l’arrestation de responsables d’al-Qaïda et de l’État islamique dans ses fiefs. Composé majoritairement de combattants syriens, HTS se positionne aujourd’hui comme une force politique locale.
Début 2019, le groupe a pris le contrôle de la majeure partie de la province d’Idleb, au détriment d’autres factions rebelles. Il y a instauré un « gouvernement du salut » qui gère l’économie locale et dont les juges lui sont fidèles. Selon Jérôme Drevon, expert du jihadisme pour l’ICG, ce gouvernement « fournit les services essentiels à la population » en coordination avec les agences de l’ONU.
Un Changement en Profondeur ?
Lors d’une rencontre avec le journaliste français Wassim Nasr mi-2023, le chef de HTS, Abu Muhammad al-Joulani, avait affirmé que son groupe n’était plus engagé dans le jihad international, considérant que cela « n’apporte que destruction et échecs ». Sur le terrain, les signes d’une relative ouverture sont visibles : scolarisation des filles, femmes au volant, consommation de tabac tolérée…
Bien sûr, ils sont loin d’épouser les valeurs démocratiques ou celles d’une société libérale mais c’est un virage.
Wassim Nasr, journaliste
Un Scepticisme Persistant
Malgré cette apparent mue idéologique, HTS demeure classé comme organisation terroriste par l’ONU, les États-Unis et plusieurs pays européens. Pour Tammy Palacios, experte en contre-terrorisme, le groupe « a démontré qu’il était incroyablement opportuniste dans ses alliances et allégeances ». Elle estime que sa transition auto-proclamée « n’est pas forcément partagée par tous ses membres ».
L’Allemand Hans-Jakob Schindler, directeur du think tank Counter Extremism Project, est du même avis. Il souligne que HTS n’a « jamais, même pas une fois, expulsé le moindre combattant étranger » et a récemment « glorifié les attaques du Hamas » contre Israël. Pour lui, il n’y a « pas de débat » sur le maintien du groupe sur les listes terroristes.
Un Avenir en Suspens
Face à la puissance de HTS dans le nord syrien et son rôle incontournable dans le conflit, certains experts comme Jérôme Drevon estiment que les Occidentaux devraient « reconsidérer leur relation » avec le groupe. Cependant, dans un contexte aussi mouvant et complexe que celui de la Syrie, la prudence reste de mise.
L’évolution de HTS ces dernières années illustre la difficulté pour un groupe issu de la mouvance jihadiste de se défaire de son image sulfureuse et d’obtenir une légitimité sur la scène internationale. Son parcours, entre pragmatisme politique et suspicions persistantes, préfigure les défis auxquels seront confrontés les acteurs de l’après-guerre en Syrie.